La Voie des Marchombres Forum de réflexion consacré aux Marchombres et aux livres de Pierre Bottero... |
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Ipiutiminelle Membre du Conseil - Modo
Nombre de messages : 3147 Age : 38 Localisation : Tol Eressëa, As-Coron, Imre... Groupe : Marchombre Livre préféré : Tolkien, Pierre, Pauline, Timothée, Léa Silhol, Patrick Rothfuss, Alain Damasio... Date d'inscription : 01/12/2008
| Sujet: Passages préférés Dim 11 Sep 2011 - 20:39 | |
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Les mots sont des armes, les mots sont des dons, les mots ne se gaspillent pas.
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- Et comment ferai-je pour ne pas tomber lorsque vous ne serez plus là pour me rassurer ? Jilano se passa la main dans les cheveux, sans paraître se rendre compte que ce geste, anodin au sol, était parfaitement incongru à cette hauteur et dans ces conditions. - Pour reprendre l'expression favorite d'une personne qui m'est chère, il y a deux réponses à cette question, jeune apprentie, comme à toutes les questions. La réponse du poète et du savant. - Celle du savant. - Lorsque je ne serai plus là pour te rassurer, demoiselle, il n'y aura plus personne pour te pousser à des actes aussi stupides que l'ascension de cette tour. Tu n'auras donc aucune raison de tomber. Je tiens toutefois à te signaler que, ta formation se trouvant loin d'être achevée, je prévois d'être présent à tes côtés un bon moment encore. Il éclata d'un rire frais, aussi incongru à cet endroit que le geste familier qui l'avait précédé. Ellana attendit que la nuit l'ait absorbé pour poursuivre : - Et celle du poète ? La lune s'était levée. Sa clarté argentée illumina les yeux bleu pâle de Jilano lorsqu'il répondit, un souffle d'émotion dans la voix : - Tu ne tombera jamais, Ellana.
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Dis-moi, jeune apprentie, les hommes sont-ils capables de voler ?
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- Même Hurj Ingan n'est pas parvenu à fendre le bouclier. - Et pourquoi cet homme y est-il parvenu, jeune apprentie ? - Parce qu'il était dans le temps du bouclier, qu'il a utilisé sa force et celle de son cheval. - Le temps du bouclier ? Ellana s'empourpra. - Je suis ridicule, pardonnez-moi. Je dis n'importe quoi. - Tu dis n'importe quoi quand tu t'estimes ridicule, Ellana. Explique-moi le temps du bouclier. - Je crois que... Il me semble... - Parle. Dis-moi ce que tu ressens et ne t'occupe pas du reste. - Chaque être, chaque plante, chaque objet, a son temps, parfois proche du nôtre, parfois si différent qu'il ne nous est pas perceptible. Dans un combat, percevoir le temps de son adversaire est aussi important pour vaincre que la rapidité ou la technique des armes. Le percevoir pour s'y accorder, et plus la différence de temps est grande plus l'accord est difficile.
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Le Miroir était un lac à la surface étale, éclairé par des sphères lumineuses immergées mettant en valeur l'étrange faune aquatique qui y virevoltait et les plantes colorées qui tapissaient son fond. Poissons-lunes écarlates, anguilles sinueuses, bancs d'éclairs bleutés, se faufilaient entre des massifs d'algues dorées ou dans les multiples anfractuosités des blocs de concrétions aux formes tourmentées. Jaillis de l'imagination des dessinateurs qui avaient crée le Miroir, de larges escaliers s'enfonçaient sous sa surface, protégés par une voûte et des murs de verre. Il était donc possible de déambuler dans le lac, sous le lac, et une multitude de sentiers avaient été tracés à cette fin. Tous convergeaient vers une place centrale plantée d'exubérants buissons fleuris et d'arbres taillés à la perfection qui offrait, depuis les berges du Miroir, la vision inouïe d'un monde renversé. Terre sous eau. C'est cette vision que contemplait Ellana, bouche bée. Jilano lui laissa le temps de la savourer puis, sans un mot, l'entraîna plus loin. Le Miroir n'était plus visible de la rue qu'ils empruntèrent mais les reflets mouvants de ses eaux limpides ricochaient encore contre les murs comme autant d'appels à faire demi-tour. - C'est... c'est magnifique, dit enfin Ellana. Ceux qui ont crée ce lieu sont des magiciens. Ils... Elle se tut, se remémorant ce qu'un peu plus tôt dans la journée elle avait jeté à Nillem : "Les dessinateurs sont des tricheurs !". Comment avait-elle pu proférer une telle absurdité ? Jilano l'observait, lisant ses émotions sur son visage comme il savait lire le vol des oiseaux dans le ciel. Alors qu'elle s'apprêtait à balbutier une explication, il s'accroupit pour tracer quelque mots dans la poussière. Comme un vent irrésistible La suit ses courbes invisibles et file Vers l'avant.
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- Une vie rectiligne n'existe pas, jeune apprentie, et si elle existait, elle serait morne et sans saveur. Je t'offre donc une courbe. La possibilité de comprendre que la voie du marchombre n'est pas celle de la perfection. - Mais... D'un regard, Jilano lui intima le silence. - La voie est envol. Mieux que des ailes, elle te fera découvrir la complexité du monde et la richesse qui vibre en toi, mais jamais elle ne te rendra parfaite. Tout au long de ta route, tu rencontreras des gens qui te surpasseront, qui grimperont mieux que toi, se battront avec plus d'efficacité, seront plus rapides, plus précis. Cela n'aura aucune importance, car tu les respecteras et continueras à progresser.
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- C'est normal, Nillem. Certaines expériences doivent être vécues, et non racontées, pour que la courbe soit harmonieuse.
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La liberté n'induit pas l'égoïsme et il n'y a pas d'homme plus libre que celui qui agit parce qu'il pense ses actes justes.
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- Un marchombre sait capter les ondes de la vie. Il les comprend, s'accorde à elle, glisse avec elles mais jamais... - Je ne suis pas... - ... ne les laisse interférer avec ce qu'il est vraiment. - ... alourdie ! Jilano lança sa pomme au visage d'Ellana. Il n'avait pas tenté de dissimuler son geste, vif mais dépourvu de violence, la jeune marchombre aurait dû attraper la pomme sans difficulté ou, au moins, l'éviter. Elle rebondit sur son front avant de tomber dans la nuit, cent mètres plus bas. - Cela ne fait pas du marchombre un être froid et détaché, continua Jilano comme si rien ne s'était pas passé. En revanche, s'il parvient à sentir les liens invisibles qui l'unissent au monde et à les transformer en choix, il devient un être capable d'emprunter la route qu'il veut. En toutes circonstances. C'est loin d'être aisé et nombreux sont les marchombres qui, prétendant arpenter la voie, sont en réalité prisonniers d'une toile qu'ils ont contribué à tisser. C'est pour cela que je te propose mon aide.
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- D'abord arrêter de croire que le monde est peuplé d'êtres bons et généreux. Ensuite te rendre compte que les journées qui s'écoulent, les gens que tu rencontres, les expériences auxquelles tu es confrontée forment ce qu'on appelle une vie. Ta vie. Et des vies, Lahira, tu n'en vivras qu'une. C'est à toi de la prendre en main, de lui donner les couleurs que tu aimes et la direction dont tu rêves. A toi et à personne d'autre.
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La solitude n'est qu'un moyen pratique de fuir la foule et ses leurres, songeait-elle. Ce n'est pas la solitude que je recherche, mais de vrais compagnons. Jilano, Nillem, Hurj, Sayanel. Des compagnons avec lesquels partager un rire, une pensée ou un silence.
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Elle s'approcha d'un tronc imposant, géant parmi les siens et, sans réfléchir, commença à le gravir. Ses gestes, affûtés par des milliers d'heures d'entraînement marchombre, étaient fluides, précis, puissants, et, très vite, le sol devint invisible sous ses pieds. A mi-hauteur, elle s'immobilisa brusquement. Une tempête de souvenirs déferlait sur elle, l'entraînant sans qu'elle puisse résister. Sans qu'elle ait la moindre envie de résister. La tempête était trop puissante, trop présente, presque tangible. Ellana se sentit basculer. A l'intérieur d'elle-même. Elle oublia sa formation, oublia ses doutes, oublia sa mission. Elle redevint enfant. Ellana céda la place à Ipiutiminelle. Cachée dans les frondaisons de la Forêt Maison, elle éclata de rire. Insouciance et légèreté. Oukilip et Pilipip la cherchaient pour l'obliger à enfiler des chaussures mais, comme d'habitude, ils ne la trouveraient pas. Sauf si elle décidait de rentrer pour se régaler de la délicieuse confiture de framboises des deux Petits. Elle ne rentra pas mais saisit une branche et s'éleva un peu. Parvenue à Al-Far, elle trouva son nom. Ouverture et responsabilité. Le parfum de Nahis flottait autour d'elle, comme la voix des enfants voleurs. Elle perçut le bruit de la ville, la dureté des hommes et la force des choix. Le tronc de l'arbre s'affinait alors qu'Ellana continuait à monter. Elle partit pour le nord avec les Itinérants. Rencontres et découvertes. Les grands espaces sauvages se reflétaient dans les yeux d'Entora, le vent épousait les mouvements de Sayanel. Dans une prairie en pente douce, les squelettes blanchis de chariots oubliés lui offrirent les clefs de son enfance. Encore quelques branches et elle revient à Al-Far. Mort et solitude. Elle suivit des yeux la flèche se fichant dans le front de Kerkan et pleura près du corps de Nahis. Elle perdit ses amis, travailla dans la taverne de Hank puis... Ellana atteignit le sommet de l'arbre. Plus haut que tous ses frères, il se tendait vers le ciel et les étoiles. ... elle rencontra Jilano. Harmonie et plénitude. Un monde nouveau s'ouvrit à ses yeux émerveillés. Un monde de liberté et d'absolu. Le monde des marchombres. Debout à la cime de l'arbre, les bras écartés, le vent de la nuit caressant son visage, Ellana retrouva son intégrité. Pour une fois le savant et le poète étaient d'accord. Elle était marchombre.
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- Piu, tu te déplaces un peu ? Comme ça je pourrai poser ma tête sur tes genoux. - Je m'appelle Ellana, Thül stupide, lâcha-t-elle en serrant les machoires pour tenter de juguler son émotion. - D'accord. Voilà. On est bien comme ça, non ? - Oui. On est... bien. - Tu vois, Piu, même les héros thüls ont parfois des coups de fatigue. Tu n'es pas déçue ? - Non, Hurj, pas déçue du tout. - Alors je peux te faire une confidence ? - Oui, bien sûr. - Tu te rappelles, l'autre jour, quand je t'ai demandé si tu voulais m'accompagner jusqu'à mon village ? - Oui, je me rappelle. - J'aurais pu te donner une explication plus courte, plus simple, plus vraie, mais je n'ai pas osé. Tu n'es pas bien effrayante, mais je n'ai pas osé. C'est drôle, non ? Ellana essuya ses yeux d'un revers de manche, forçant sa gorge nouée à laisser passer une question. - C'était quoi ton explication, grand chef ? - Je t'aime. Il se mit à trembler. - C'est la première fois que je dis ça à une fille. Je n'ai pas l'habitude, ça fait tout chaud, là. Elle passa la main dans ses tresses. Les caressa doucement. Les larmes qui ruisselaient sur ses joues engloutissaient son présent, noyaient son futur. Emportaient son âme. Elle avait le sentiment que c'était sa vie à elle qui s'écoulait. - Moi aussi je t'aime, murmura-t-elle. Il hocha la tête. - Ca c'est une bonne nouvelle, souffla-t-il. Maintenant je vais dormir un peu. Quand je me réveillerai, on amènera ses fichues pierres à Al-Far puis je te conduirai dans mon village. C'est un beau village, il te plaira. Il ferma les yeux. - Hurj, je... - Tout à l'heure, Piu. Tout à l'heure... Il mourut le sourire aux lèvres.
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La douleur infinie de celui qui reste, Comme un pâle reflet de l'infini voyage Qui attend celui qui part.
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- Je ne m'appelle pas... Ellana se tut. Un flot de souvenirs remontait de sa mémoire pour déferler sur son présent. Une voix d'abord. Douce et chaude. Amour, partage et sécurité. "Il y a deux réponses à ta question, ma princesse. Comme à toutes les questions, tu le sais bien. Laquelle veux-tu entendre en premier ?" Une silhouette ensuite. Fine et élancée. De longs cheveux noirs. Un regard de nuit. "Les étoiles ne se posent jamais près des hommes. Sauf la plus belle d'entre elles. Celle qui est maintenant ma femme." Un nom enfin. Paré d'une certitude. "Je serai toujours avec toi. Où que tu te trouves, quoi que tu fasses, je serai là. Toujours." Ellana prit conscience qu'elle pleurait. De la main, elle essuya ses larmes et tenta de sourire au vieil homme. - Je ne suis pas Isaya. Je suis sa fille.
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- On ne cesse jamais d'être marchombre, jeune fille. Jamais. Non, ta mère, si elle est restée marchombre, a quitté la voie pour s'engager sur celle de l'amour. Amour pour un homme, puis amour pour une enfant. Toi. - Pourquoi ces deux voies seraient-elles incompatibles ? S'étonna Ellana. - Que tu te poses la question prouve, s'il en était besoin, que tu es bien la fille d'Isaya. Tu as raison, et ta mère avait raison elle aussi, la voie du marchombre et celle de l'amour peuvent n'en former qu'une. A l'époque toutefois je l'ignorais et son choix m'a déchiré le cœur.
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- Le doute est une force, lui dit-il. Une vraie et belle force. Veille simplement qu'elle te pousse toujours en avant.
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- Faut-il absolument voir les choses pour qu'elles existent ? demanda Jilano. Et cela signifie-t-il qu'avant que tu le rencontres, ton troll n'existait pas ? Ellana fronça les sourcils. Comme souvent avec Jilano, une conversation débutée de façon badine prenait tout à coup une profondeur inattendue. - Non, dit-elle finalement, Doudou ne m'a pas attendue pour exister. D'un autre côté... - Oui ? - D'un autre côté, c'est parce qu'on y croit que certaines choses finissent par exister. Jilano hocha la tête, satisfait. - C'est pour cette raison que Pilipip et Oukilip ont raison quand ils voient des fées là où nous ne discernons que des grains de poussières ou des insectes.
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- C'est pourtant simple. Il suffit que je vous regarde, madame, pour comprendre que vous êtes un être sensible que la brutalité des hommes effarouche. Délicate, fragile, vous rêvez d'un monde de douceur et de celui qui saura le bâtir pour vous. Vous êtes résolument romantique et si l'inconnu et la solitude vous effraient, vous possédez sans nul doute de formidables qualités pour tenir une maison et préparer de bons repas à celui qui vous protégera. Ellana, figée par la stupéfaction, ne réagit que lorsque Jilano étouffa un éclat de rire dans un éternuement factice. - Tu... tu vois vraiment ce... cette... ça en moi ? Balbutia-t-elle. Aoro lui adressa un sourire charmeur. - Evidemment, madame, mais il est normal que vous soyez surprise d'être mise à nue, si je puis me permettre l'expression, avec une telle facilité. Les esprits fins et délicats ne sont pas légion et, rassurez-vous, ils sont aussi discrets que perspicaces.
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- C'est une noble décision, déclara le maître marchombre. Le seul monde qui mérite d'être conquis est celui que délimitent les frontières de notre corps et celles de notre esprit.
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L'absence n'est qu'une illusion que le corps impose à l'esprit.
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L'amour consiste à ouvrir des portes et des fenêtres, pas à bâtir des prisons.
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Al-Jeit était enchâssée dans une éblouissante gangue de glace. Pas une tour, pas un dôme, pas une flèche qui ne soit revêtu de cristaux. La lumière de la lune et des étoiles explosait à leur contact tandis que celle de la ville s'y diffractait en un millier de teintes irréelles. Ellana se hissa sur la pointe des pieds et écarta les bras en grand. L'air aussi irradiait sa propre lumière. Une lumière pure et argentée qui donnait envie de la boire. Elle baissa les yeux vers les zones d'ombre nichées dans les ruelles, les cours, les renfoncements... Elle se figea. Par la magie de la glace et des étoiles, l'ombre elle-même était devenue lumineuse. Le regard demeurait impuissant à la percer mais elle brillait néanmoins, d'une lueur douce et secrète, comme incapable de se satisfaire de sa nature alors que l'univers entier vibrait au rythme des ondes lumineuses. La gorge nouée par l'émotion, Ellana s'accroupit. Chuintement. Ses griffes entamèrent la glace vive pour y tracer quelques lignes. La voie de l'ombre Et du silence Vers la lumière.
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Jamais auparavant, elle n'avait ressenti avec une telle force la puissance des mots. Et leur beauté. Libérés des entraves du doute comme du filtre de la raison, ils dessinaient une voie lumineuse à travers les artifices de la réalité pour plonger en droite ligne au cœur du vrai.
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Plus que les discours des hommes, écoute le souffle de la nuit et le murmure de ton cœur. Eux ne mentent pas.
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Avec ces chaînes, Jilano lui volait sa condition de marchombre. Vraiment ? Sa condition de marchombre était donc tributaire d'une simple chaîne d'acier ? Quelques maillons et elle perdait son identité ? Un vent nouveau se leva en elle. Un nuage commença à se désagréger dans son esprit. Lorsque, blessée, elle reposait sur son lit, était-elle moins marchombre que lorsqu'elle gravissait une tour escarpée, en pleine possession de ses moyens ? Ehrlime et son visage fripé ou Andorel et ses mouvements ralentis par l'âge étaient-ils moins marchombres qu'elle qui avait dix-huit ans ? Le corps était-il à ce point important qu'il définissait à lui seul la réalité du mot marchombre ? Elle raffermit sa prise de peur que la tempête qui soufflait désormais en elle ne jaillisse à l'extérieur et ne la fasse basculer dans le vide. Elle était marchombre. Libre ou enchaînée. Valide ou blessée. Jeune ou vieille. Elle était marchombre. Mais le corps ? La tempête rugit dans son esprit. Son corps était une partie d'elle. Elle lui devait le respect, c'était par lui qu'elle appréhendait le monde mais il n'était qu'une partie d'elle. Sa condition de marchombre prenait naissance bien au-delà des limites de son corps. Elle le transcendait, et si son corps était enchaîné, blessé, affaibli, brisé même, elle n'en demeurait pas moins libre. Elle était marchombre.
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- Je ne veux pas vous quitter. - Tu ne me quittes pas, murmura-t-il. Chez les marchombres, maître et élève sont liés. Pour l'éternité. Aujourd'hui, nous nous séparons mais une partie de nos âmes reste mêlée. Où que tu ailles, quoi que tu fasses, le comprends-tu ? - Vous m'oublierez... - C'est faux. Un jour, alors que tu chevaucheras les vents les plus purs, mes cendres seront répandues, peut-être au sommet de cette montagne. Mais même la mort ne nous séparera pas. Je continuerai à marcher sur la voie à tes côtés. Je ne t'oublierai jamais.
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- C'est moi qui te remercie, Ellana. Pour la lumière et le sens dont tu as paré ma vie. Le reste n'a aucune importance. Il se tut. Reprit dans un souffle : - Nous allons nous quitter maintenant. Tu vas descendre d'un côté, moi de l'autre et si nos êtres demeurent à jamais liés, nos présents désormais divergent. - Non, hoqueta Ellana, pas maintenant. Demain. Plus tard. Il secoua la tête. - Quel autre moment plus beau, plus favorable choisir ? Tu es au sommet, Ellana. Offre-moi le bonheur de te voir t'envoler. Il ferma les yeux une seconde. - S'il te plait. Un murmure. Qui perça le coeur d'Ellana. Elle le caressa du regard une dernière fois, lui sourit comme on fait une promesse et se détourna. Il ne pleura que lorsqu'elle fut loin.
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- Parce qu'il est des relations si intenses qu'elles nécessitent l'éloignement pour continuer à se développer en conservant leur équilibre.
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Jilano inspira profondément, ralentissant son rythme cardiaque jusqu'à ce que son corps élimine l'injonction de survie induite par le danger. Ce n'était plus la peine. Il s'assit en tailleur contre un mur et attendit que la silhouette apparaisse au-dessus de lui. Elle ne tarda pas. Un sourire pâle erra sur les lèvres du maître marchombre lorsqu'il reconnut l'assassin. La guilde était donc tombée si bas ? Il faillit parler, non pour tenter de convaincre, encore moins pour supplier, mais pour chercher à comprendre. Il préféra détourner les yeux afin de se concentrer sur l'essentiel. Alors que l'assassin bandait son arc, les pensées de Jilano s'envolèrent vers Ellana. Bonheur. Gratitude. Amour. - Garde-toi, murmura-t-il, et que ta route soit belle.
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Elle saisit une première prise et commença à s'élever. Jilano vivait dans chacun de ses mouvements, chacun de ses appuis, chacun de ses équilibres. Mort et pourtant vivant. Etrange dualité dont elle retrouvait l'écho en elle, écrasée de chagrin et débordante d'un formidable élan de vie.
Sans chaînes et en été, l'ascension ne présentait aucune difficulté. Ellana se campa au sommet de l'aiguille et, lentement, effectua l'ensemble de la gestuelle marchombre qu'elle avait si souvent travaillée avec Jilano. Lorsqu'elle eut fini, elle recommença. Jusqu'à se sentir nettoyée. Plus de rancoeur, plus de rage, plus de peine. Harmonie et sérénité. Elle sortit alors le coffret du sac posé près d'elle. En quelques gestes amples, elle dispersa les cendres de Jilano dans l'azur. Elle attendit que la brise les ait emportées pour murmurer un simple mot. Merci.
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| | | Eleyra Leina Membre du Conseil - Admin
Nombre de messages : 4534 Age : 32 Localisation : Llewanda Groupe : Marchombre Livre préféré : Ellana, La Moïra, Les Royaumes du Nord Date d'inscription : 04/04/2008
| Sujet: Re: Passages préférés Mar 13 Sep 2011 - 23:24 | |
| Pfiou, t'en as mit tellement que j'espère n'avoir pas remit les mêmes que toi ^^ Yen a certains que j'aimais aussi mais que t'as déjà mit donc je ne les ai pas recopié, et 1 ou 2 que j'ai pas mit parce que j'en avais marre xD - Spoiler:
La valeur n’attend pas le nombre des années. Page 18.
Aimer est l’un des plus beaux choix qui s’offrent à un homme. Ou à une femme. Et l’un des plus difficiles. Et pas seulement parce que différencier l’amour de la passion ou d’une simple attirance, physique ou intellectuelle, est complexe. Pages 83-84.
L’amour est une voie au même titre que la voie des marchombres. S’y engager n’a aucun sens si on n’est pas décidé à y progresser. Page 84.
La vraie liberté ne consiste pas à faire ce qu’on veut, mais ce qu’on doit. Page 166.
La mort est inévitable, mais elle n’est jamais juste. Page 312.
Le seul monde qui mérite d’être conquis est celui qui délimite les frontières de notre corps et celles de notre esprit. L’autre monde, celui qui s’étend autour de nous, n’a pas besoin de maître. Pages 334-335
La réalité a souvent deux visages, comme les questions ont deux réponses. Page 351.
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Chaque être, chaque plante, chaque objet, a son temps, parfois proche du nôtre, parfois si différent qu’il ne nous est pas perceptible. Dans un combat, percevoir le temps de son adversaire est aussi important pour vaincre que la rapidité ou la technique des armes. Le percevoir pour s’y accorder, et plus la différence de temps est grande, plus l’accord est difficile.
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La voie est envol. Mieux que des ailes, elle te fera découvrir la complexité du monde et la richesse qui vibre en toi, mais jamais elle ne te rendra parfaite. Tout au long de ta route, tu rencontreras des gens qui te surpasseront, qui grimperont mieux que toi, se battront avec plus d’efficacité, seront plus rapides, plus précis. Cela n’aura aucune importance, car tu les respecteras et continueras à progresser.
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Jilano Alhuïn
Flamme intérieure Qui illumine Et protège.
Comme un vent irrésistible La vie suit ses courbes invisibles et file Vers l’avant.
Un chant Comme un appel hypnotique Qui tourbillonne.
Ellana Caldin
Contact intime et bouleversant Corps transcendé qui fusionne Avec l’âme du rocher.
La douleur infinie de celui qui reste, Comme un pâle reflet de l’infini voyage Qui attend celui qui part.
Nuages qui se délitent Dans un ciel balayé par le vent Solitude.
La voie de l’ombre Et du silence Vers la lumière.
Tu l'as déjà cité mais moi je le prend un peu avant : Pages 22-24 - Spoiler:
Ellana retint une imprécation. Elle était en difficulté. Trop avancée sur la voie pour méconnaître à ce point son corps et ses signaux de détresse, elle ne pouvait le nier, mais si Jilano lui avait lancé ce défi c’est qu’elle possédait les ressources pour passer. Plutôt tomber qu’implorer de l’aide. Une aide que Jilano ne lui proposa pas. – Les hommes sont-ils capables de voler ? lui demanda-t-il en revanche, un sourire dans la voix. Elle lui répondit par une grimace douloureuse qui ne parut pas l’émouvoir. – Alors ? insista-t-il. Les hommes sont-ils selon toi capables de voler ? Ellana jeta un coup d’œil vers le sol. Ses muscles criaient grâce, son souffle était court et une chute de cinquante mètres ne pardonnait pas. Jilano était-il aveugle à ce point qu’il ne s’en apercevait pas ? – Je t’écoute jeune apprentie. – Je… je… Elle saisit une prise infime, monta un pied à la hauteur de ses hanches, décala ses appuis… – Je… Il y a… Il y a deux réponses à cette question. Comme… à toutes les questions. Celle… celle du poète et celle… du savant. Quitte à tomber, ne pouvait-elle pas cesser de haleter de façon aussi lamentable ? – J’aimerais entendre les deux, jeune apprentie. Les hommes sont-ils capables de voler ? Jilano ne paraissait pas éprouver la moindre inquiétude. Ellana serra les dents. Alors qu’elle pensait en être incapable, elle parvint à se hisser jusqu’à une fissure qui serpentait au-dessus d’elle. – La réponse du… savant est… non, balbutia-t-elle. – Et celle du poète ? – Oui. – Comment ça, oui ? – La réponse est oui. Oui, les hommes sont capables de voler. Jilano sourit à la lune. – Concision extrême mais je ne peux t’en tenir rigueur, l’endroit n’est pas idéal pour une conversation sur l’art du vol. Tu as fourni un bel effort et, en échange de tes réponses, je vais te confier un secret. Il abandonna une seconde au silence avant de poursuivre : – Tu ne tomberas pas. Le pied gauche d’Ellana ripa sur le jade. Elle se rattrapa d’extrême justesse et retrouva son équilibre par miracle. Jilano n’avait pas bronché, pourtant, du coin de l’œil, elle avait eu le temps de le voir se ramasser, prêt à bondir. Prêt à bondir sur une surface plus que verticale aussi lisse que du verre. Ce n’étaient pas de vains mots, il en était capable. Cette découverte entraîna une prise de conscience limpide. Il avait raison, elle ne tomberait pas. Elle ne tomberait pas puisque jamais il ne la laisserait tomber. Tension et fatigue fuirent ses membres. Ses mouvements retrouvèrent leur fluidité habituelle et son cœur un rythme normal. Elle s’accorda même le luxe d’interrompre sa progression, les doigts crochetés dans une minuscule anfractuosité, les pieds serrés sur un perchoir à mouches, pour planter ses yeux dans ceux de Jilano. – Et comment ferai-je pour ne pas tomber lorsque vous ne serez plus là pour me rassurer ? Jilano se passa la main dans les cheveux, sans paraître se rendre compte que ce geste, anodin au sol, était parfaitement incongru à cette hauteur et dans ces conditions. – Pour reprendre l’expression favorite d’une personne qui m’est chère, il y a deux réponses à cette question, jeune apprentie, comme à toutes les questions. La réponse du poète et celle du savant. – Celle du savant. – Lorsque je ne serais plus là pour te rassurer, demoiselle, il n’y aura plus personne pour te pousser à des actes aussi stupides que l’ascension de cette tour. Tu n’auras donc aucune raison de tomber. Je tiens toutefois à te signaler que, ta formation étant loin d’être achevée, je prévois d’être présent à tes côtés un bon moment encore. Il éclata d’un rire frais, aussi incongru à cet endroit que le geste familier qui l’avait précédé. Ellana attendit que la nuit l’ait absorbé pour poursuivre : – Et celle du poète ? La lune s’était levée. Sa clarté argentée illumina les yeux bleu pâle de Jilano lorsqu’il répondit, un souffle d’émotion dans la voix : – Tu ne tomberas jamais, Ellana.
Pages 29-30 - Spoiler:
– Alors ma belle, tu cherches l’aventure ? Ellana se rembrunit. Les quatre hommes étaient ce qu’ils paraissaient être : des ivrognes doublés d’imbéciles. – Je cherche la paix et je l’avais trouvé. Avant de te croiser. – J’aime pas les filles qui se croient malignes ! Des ivrognes doublés d’imbéciles teigneux. – Alors tu vas la fermer, être très gentille avec nous et tout se passera bien. Celui qui avait parlé, un escogriffe aux moustaches tombantes, fit un pas vers elle, une lueur de convoitise dans son regard veule. Ellana poussa un soupir de contrariété. L’idée d’étrangler le moustachu avec ses tripes lui vint à l’esprit mais elle la repoussa. Trop facile et si peu glorieux. Déshonorant. Elle leva les yeux pour chercher la prise qui lui permettrait de se hisser sur les toits et de poursuivre son chemin en paix. – Tu crois vraiment que tu vas nous échapper en t’envolant ? Les quatre brutes éclatèrent d’un rire gras. « Dis-moi, jeune apprentie, les hommes sont-ils capables de voler ? » Alors qu’elle s’apprêtait à bondir, Ellana se ravisa brusquement. Elle fléchit la jambe gauche, tendit la droite loin derrière elle, inclina la tête, écarta les bras, paumes tournées vers le bas. – Mais qu’est-ce que tu… commença le moustachu. Il se tut. La fille n’était plus une fille. Ses longs cheveux noirs tombant en rideau devant son visage, son attitude, position de combat ou figure de danse, l’énergie qui se dégageait d’elle… La fille n’était plus une fille. C’était un oiseau. Prêt à l’envol. Chuintement feutré et la mort surgit entre ses phalanges. Lames étincelantes au tranchant parfait. Serres. Un oiseau de proie. Piètres chasseurs devenus gibier terrorisé, les quatre hommes s’enfuirent. Ellana rétracta ses griffes et se remit en marche. L’atmosphère de la ville lui pesait tout à coup. Pour merveilleuse que soit Al-Jeit, elle avait besoin d’espace, de nature, de solitude. Il était temps de s’envoler pour de bon.
Pages 183-185 - Spoiler:
Ellana tenait à peine debout. Ses vêtements déchirés étaient maculé de terre et de résine, elle ne sentait plus ses bras constellés d’ecchymoses, ses mains couvertes d’ampoules étaient à vif et une branche acérée avait ouvert une profonde estafilade sur sa joue. Elle s’en moquait. Bandant d’un même effort ses muscles harassés et sa volonté, elle ajusta le dernier fût et recula de quelques pas. Le bûcher était colossal. Haut de quatre mètres, il était constitué de dizaines de troncs qu’elle avait passé la journée à abattre à la hache puis à élaguer, et supporter une plate-forme immense à laquelle on accédait par une échelle de fortune. Hurj reposait sur la plate-forme, couché sur le dos, les bras en croix, comme s’il s’apprêtait à enlacer l’univers. Ellana avait disposé ses armes près de lui avant de se raviser. Elle rapporterait la hache et le sabre du guerrier thül à Al-Far. Avec le poignard de Salvarode. En trébuchant de fatigue, elle escalada l’échelle et s’agenouilla près du corps de son ami. – Adieu, grand chef, murmura-t-elle. Elle demeura immobile et silencieuse, prostrée, vidée de ses larmes et de ses forces, incapable d’imaginer un lendemain. Au bout d’une éternité, une ultime lueur de lucidité lui commanda de descendre de l’échelle. Elle ne sut jamais comment elle avait allumé le feu, mais lorsque le bûcher s’embrasa et que les flammes, démesurées, bondirent vers le ciel, elle ouvrit les bras. – Adieu, grand chef ! hurla-t-elle. Puis elle s’effondra et ne bougea plus.
Elle dormit d’un sommeil de plomb. Écrasant et sans rêves. Toute la nuit et la moitié de la journée qui suivit. Lorsqu’elle s’éveilla, du bûcher effondré ne subsistait que des braises rougeoyantes et de rares morceaux de bois calcinés. Elle se leva en titubant puis se dévêtit pour se plonger dans le ruisseau. La morsure de l’eau fraîche lui fit du bien et lorsqu’elle sortit, propre et désaltérée, elle se tenait de nouveau droite. Sur ses pieds et dans sa tête. Elle lava ses vêtements et, pendant qu’ils séchaient étendus dans l’herbe, elle s’assit, une lourde plaque d’écorce sur les genoux. Elle réfléchit un instant, suivant du regard les fumerolles qui traçaient de mystérieuses arabesques au-dessus des cendres, puis elle saisit son poignard et se mit au travail. Quand elle eut fini, elle considéra son œuvre sans la moindre concession. Satisfaite, elle fixa solidement la plaque d’écorce à un pieu fiché en terre, après s’être rhabillée, elle s’approcha des chevaux. Les fontes d’une des selles contenaient des bâtonnets de viande séchée au goût exécrable mais qu’elle savait très nourrissants. Elle avait de toute façon trop faim pour se montrer difficile. Elle mordit dans un bâtonnet, grimaça, se força à avaler. Une fois rassasiée, elle se hissa sur un des chevaux et saisit la bride de l’autre. Ce faisant, elle eut une pensée fugitive pour Alula. Comment la petite jument au mauvais caractère allait-elle aborder sa nouvelle vie libre et sauvage ? Elle haussa les épaules. Alula ferait de son mieux. Comme sa maîtresse. D’un claquement de langue, Ellana mit sa monture au pas. Elle s’éloigna vers l’ouest sans se retourner. Derrière elle, un rayon de soleil se posa sur la plaque d’écorce.
La douleur infinie de celui qui reste, Comme un pâle reflet de l’infini voyage Qui attend celui qui part.
Pages 289-290 - Spoiler:
Ellana descendit de cheval et s’approcha du torrent. Lentement, elle commença à se déshabiller. L’eau était encore plus froide que dans son souvenir et elle ne pouvait compter sur la corde de Jilano alors tendue pour la retenir. Elle refusa d’y penser. Lorsque l’eau atteignit son ventre, elle chancela et faillit renoncer. Faillit. Elle ferma les yeux et choisir d’avancer. Le courant était une main énorme qui cherchait à la broyer. Elle fléchit les genoux, pivota sur ses hanches, laissa passer la main. Le courant devint un poing qui la frappa au creux des reins. Voulut la frapper. Elle l’accompagna, l’entoura, l’engloba, le fit sien. Le poing disparut. Une masse liquide irrésistible déferla sur elle. Ellana plongea, plus liquide encore que l’eau qui l’assaillait. Ses gestes devinrent écume, sa conscience tourbillon, son âme torrent. « Les forces qui bousculent la vie des hommes sont sans effet sur un marchombre. » Elle joua avec le torrent jusqu’à ce que, apprivoisé, il ronronne pour elle. Elle sortit alors de l’eau. Elle grelottait, ses lèvres étaient bleues, pourtant en elle brûlait une flamme aussi chaude qu’un soleil.
Pages 293-294 - Spoiler:
– Je savais que tu emprunterais cette route. Avoue que j’aurais été stupide de te poursuivre alors que je pouvais t’attendre. Ellana décocha un coup d’œil autour d’elle, en quête d’une aide hypothétique. Ils se trouvaient à l’écart de la piste principale et il était trop tôt pour que des voyageurs passent à proximité. Elle ne pouvait compter que sur elle-même pour se tirer d’affaire. – Je tenais à ce cheval, Salvarode ! jeta-t-elle. Il lui lança un regard surpris puis éclata de rire. – Tu vas mourir et tout ce que tu trouves à dire c’est que tu tenais à ce canasson ? – Un cheval, pas un canasson. Plus noble et courageux que tu le seras jamais. – Dommage que tu ne manie pas tes poignards aussi bien que ta langue. Tu ferais une redoutable combattante. Nous avions une discussion en cours, si je ne m’abuse ? – Nous avons en cours plus d’une conversation, Salvarode. – Je suis d’accord, opina-t-il, et le moment est venu de tout régler. Dans les moindres détails. Tu vas commencer par me raconter gentiment ce que sait Jilano de mes… activités puis je te tuerai. Vite, sans souffrance inutile. En revanche si… – Tu te répètes, le coupa-t-elle. Je t’ai déjà dit que je ne pouvais rien te raconter. – Et pourquoi ? s’enquit-il en faisant un pas en avant. – Je n’arrive pas à parler quand j’ai la nausée, et tu me donnes vraiment envie de vomir. Épargne-moi donc tes discours et viens me tuer. Elle lui offrit un sourire provocant avant de poursuivre : – Ou plutôt viens essayer. Salvarode blêmit. – Tu es stupide. « Non songea Ellana, je ne suis pas stupide. Je n’ai pas le choix c’est différent. » – Venant d’un spécialiste en la question, le compliment me touche, rétorqua-t-elle à haute voix. Pourrais-tu te dépêcher ? Je n’ai pas que ça à faire moi !
Pages 303-306 - Spoiler:
Ellana fléchit la jambe gauche, tendit la droite loin derrière elle, puis écarta les bras, paumes tournées vers le sol. Elle baissa la tête, laissant ses longs cheveux noirs masquer son visage et son regard. Elle n’éprouvait aucune crainte et le doute l’avait quitté. Jilano croyait en elle. Cela suffisait. Salvarode s’immobilisa. A quoi jouait la gamine ? Elle n’avait pas d’arme, sa posture n’était pas une garde de combat, c’était ridicule. Il se ravisa. Ridicule, certes, mais tout de même inquiétant. Il jeta un coup d’œil à Jilano. Le maître marchombre se tenait à l’écart, les bras croisés, attentif, quoique – Salvarode en avait la certitude – décidé à ne pas intervenir. Jilano ! Un sacré obstacle qu’il faudrait abattre pour… Salvarode se morigéna. L’heure n’était pas aux projets mais à la survie. Jilano lui avait offert une chance inespérée. Il était plus redoutable que n’importe quel marchombre, il aurait pu l’éliminer sans la moindre difficulté, et il lui avait proposé ce stupide combat. Un rictus tordit la bouche de renégat. D’abord liquider la gamine puis retourner à Al-Jeit afin de circonvenir le Conseil. Jilano était en passe de devenir une légende mais même les légendes peuvent mourir. Vigilant, prêt à bondir, ses deux poignards pointés devant lui, il se remit en mouvement. Ellana n’avait pas bougé. Un frisson d’inquiétude parcourut le dos de Salvarode. Ce ne pouvait pas être si facile. Pas avec l’assurance qu’affichait Jilano. Où était le piège ? Il s’arrêta une nouvelle fois. A deux mètres d’Ellana. Avec ses bras écartés pareils à des ailes, sa jambe tendue et le rideau de cheveux dissimulant ses traits, la gamine évoquait irrésistiblement un oiseau prêt à s’envoler. Le rictus de Salvarode s’accentua. Un oiseau. C’était donc ça. Prenant au pied de la lettre les principes fumeux de son maître, elle allait s’envoler. Tenter de s’envoler. Tenter de le surprendre en bondissant au-dessus de lui. Le frapper à la tête ou au cou, là où s’entremêlent les points névralgiques que tout bon combattant doit connaître. Il ne la sous-estimait pas. Avec un maître comme Jilano, elle était certainement capable de sauter aussi haut, capable d’éliminer un adversaire, voire de le tuer, d’un seul coup de pied. Il ne la sous-estimait pas. Il lui réservait juste une petite surprise. Il passa à l’attaque. A travers l’écran de ses cheveux, Ellana l’avait vu s’approcher, hésiter, s’approcher encore, s’arrêter… « Dis-moi jeune apprentie, les hommes sont-ils capables de voler ? » Elle n’avait toujours pas peur. Elle se sentait au contraire en parfaite harmonie avec elle-même. En harmonie avec la lumière de ce petit matin. En harmonie avec Jilano et sa confiance. En harmonie avec le monde. Lorsqu’elle perçut l’infime variation dans la respiration de Salvarode, elle s’empara de son rythme, entra dans son temps. « Dis-moi jeune apprentie, les hommes sont-ils capables de voler ? » Elle se plaqua au sol.
Salvarode feignit une attaque au ventre, changea ses appuis, s’apprêta à frapper en hauteur. Il avait raison. La gamine s’était ramassée pour bondir. Elle se détendit… Disparut. En une fraction de seconde, il comprit qu’il s’était trompé. La gamine ne s’était pas envolée, elle… Il poussa un terrible cri de douleur. Des lames étincelantes avaient entaillé chacun de ses avant-bras, du coude jusqu’au poignet. Tendons sectionnés, ses mains inutiles s’ouvrirent, ses poignards tombèrent au sol. Ellana plongea en arrière, effectua une volte-face aérienne, pivota sur ses hanches, frappa. Son talon fit exploser le nez de Salvarode. Il s’effondra.
Pages 308-309 - Spoiler:
– Pouvez-vous me prêter le gant d’Ambarinal ? La voix d’Ellana était pâle mais ferme. Sans un mot, Jilano tira le gant de sa poche et le lui tendit. Elle l’enfila à sa main gauche puis, sans hâte, banda l’arc invisible. Salvarode avait presque atteint la lisière de la forêt. Elle ouvrit les doigts. Un long trait noir jaillit du néant et fila en sifflant. Rapide comme la mort. Trois autres le suivirent, si vite que les gestes de la jeune marchombre restèrent flous. Ellana ôta le gant d’Ambarinal et le rendit à Jilano. Chacune des quatre flèches avait trouvé sa cible. A l’endroit précis qu’elle avait choisi. Pourquoi donc ne cessait-elle pas de pleurer ?
Celui ci aussi tu as déjà mit la fin, mais je trouve le début Magnifique. Pages 319-320 - Spoiler:
L’automne était arrivé. Tandis que le soleil raccourcissait chaque jour sa course, que les nuits s’offraient un manteau de fraîcheur, les forêts se teintaient d’or et de sang. Le vent avait recouvert la piste d’une épaisse couche de feuilles qui feutraient le pas des chevaux jusqu’à le rendre inaudible. Des rayons de lumière s’infiltraient à travers la voûte des arbres et tombaient sur le sol en longs rais parallèles où virevoltait des myriades de points scintillants. – Quand j’étais petite, Oukilip et Pilipip m’affirmaient que c’étaient des fées, se rappela Ellana en les désignant du doigt. Jilano sourit. – Ils avaient sans doute envie que tu rêves. – Non, je crois qu’ils le pensaient vraiment. – Et ils avaient peut-être raison. Ellana lui jeta un coup d’œil, cherchant à discerner s’il ironisait mais, de toute évidence, ce n’était pas le cas. – Vous croyez aux fées ? s’étonna-t-elle. – Tu crois bien aux trolls. – Ce n’est pas pareil, se défendit-elle, j’ai rencontré un troll. Il m’a même sauvé la vie. – Faut-il absolument voir les choses pour qu’elles existent ? demanda Jilano. Et cela signifie-t-il qu’avant que tu le rencontres, ton troll n’existait pas ? Ellana fronça les sourcils. Comme souvent avec Jilano, une conversation débutée de façon badine prenait tout à coup une profondeur inattendue. – Non, dit-elle finalement, Doudou ne m’a pas attendu pour exister. D’un autre côté… – Oui ? – D’un autre côté, c’est parce qu’on y croit que certaines choses finissent par exister. Jilano hocha la tête, satisfait. – C’est pour cette raison que Pilipip et Oukilip ont raison quand ils voient des fées là où nous ne discernons que des grains de poussière ou des insectes. Tout était dit et ils poursuivirent leur chemin en silence.
Pages 327-331 - Spoiler:
Un bruit de querelle dans la salle ôta à Ellana la difficile tâche de répliquer. Un homme de haute stature, la barbe hirsute et les bras couverts de tatouages, se tenait face au patron de l’auberge et l’invectivait. – Bien sûr que si, tu peux, face de Raï, lui postillonna-t-il au visage. Tu vas virer ce tas de clampins et libérer la salle pour l’arrivée de mes amis. Tu vois, il y en a qui ont déjà compris ! Il montrait du doigt quelques clients qui, prudents, se levaient discrètement. – Il n’en est pas question, réagit le patron ? C’est pas un pauv’ puant com’ toi qui va… Sa phrase s’éteignit dans un couinement. Le barbu l’avait saisit au collet et, l’étranglant à moitié, le fit passer par-dessus le comptoir. – Qu’est-ce que t’as dit ? rugit-il. Ellana et Jilano échangèrent un regard mais, avant qu’une décision ait émergé de cet échange muet, Aoro s’était levé. – Holà manant ! s’exclama-t-il en s’approchant à grand pas. Cesse de molester ce brave homme ou il t’en cuira ! Le colosse barbu lâcha sa victime qui s’effondra à ses pieds. Il toisa l’homme qui avançait sur lui pour évaluer le danger qu’il représentait. Un sourire torve tordit sa bouche. – Toi, minus, tu cours retrouver les jupes de ta mère ou je te coupe les oreilles, d’accord ? – Comment ? Qu’ouïs-je ? s’emporta Aoro. Vous outrepassez les… Il se plia en deux sous le premier coup de poing qui le cueillit au creux de l’estomac, partit en arrière quand le deuxième lui percuta le menton, s’effondra sur le dos, poussa un cri rauque lorsque le barbu lui balança son pied dans les côtes, se roula en boule, attendit, crispé, la volée de coups qui allait pleuvoir… Il ne se passa rien. Il ouvrit les yeux. Ellana se tenait entre son bourreau et lui, frêle rempart qui semblait pourtant faire hésiter la brute. – Dégage ! cracha le colosse en levant les bras. Aoro se recroquevilla au sol en jetant un coup d’œil à Jilano. S’il intervenait, peut-être qu’à deux, ils… Le maître marchombre, confortablement installé sur sa chaise, sourire aux lèvres, mains croisés derrière la nuque, regardait la scène avec le plus grand intérêt mais ne semblait pas décidé à bouger le petit doigt pour venir en aide à son élève. – Dégage je t’ai dit ! – Je te fais une contre-proposition, lança Ellana que le poing brandi du barbu ne semblait pas impressionner le moins du monde. Tu quittes l’auberge maintenant, sans bruit, avec la promesse de ne jamais y remettre les pieds, et je ne te casse pas en mille morceaux. Le colosse ouvrit la bouche pour un cri ou peut-être un rire, mais la voix de Jilano le lui vola. – C’est un marché de dupes ! s’écria-t-il sur un ton plein de verve. – Et pourquoi donc ? fit mine de se fâcher Ellana. – Parce que même si tu tapes fort, tu lui casseras au maximum une douzaine d’os. Allez, vingt parce que c’est toi. On est loin des mille morceaux que tu revendiques. Ellana soupira. – C’est une expression, il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. – Sans doute, mais ce monsieur pourrait s’estimer grugé. – Très bien. Elle leva la tête pour vriller ses yeux dans ceux du colosse. Un colosse qui ne savait plus très bien où il en était. – Voici ma contre-proposition réactualisée, reprit-elle. Tu quittes l’auberge maintenant, sans bruit, avec la promesse de ne jamais y remettre les pieds, et je ne te casse pas en douze morceaux. Peut-être en vingt parce que c’est moi. Le barbu hésita un instant. Il ne s’était jamais trouvé dans une telle situation. Habitué à terroriser les gens, il ne comprenait pas pourquoi cette fille n’éprouvait pas la moindre peur. Pire, elle se moquait de lui et se permettait de le menacer. Cette attitude cachait quelque chose de louche, c’était certain. Une petite voix en lui murmura qu’il ferait mieux de se retirer pour revenir un peu plus tard avec les autres. Un risque partagé est toujours moins… risqué. – Tu as compris ou tu veux que je répète ? Le colosse laissa échapper un grognement. C’en était trop ! Sa main droite, pareille à un battoir, fila vers le visage de la fille. – Non ! cria Aoro toujours étendu à terre. Rien ne se déroula pourtant comme il le redoutait. Ellana pivota souplement, passa sous le bras de son adversaire, saisit un de ses doigts et le tordit violemment. Un claquement sec retentit. – Un, annonça-t-elle. Le barbu avait poussé un hurlement de colère et de douleur mêlées. Il lança son poing mais il aurait tout aussi bien pu le mettre dans sa poche tant le coup fut inefficace. Ellana, en revanche, après s’être baissée pour esquiver l’attaque, frappa deux fois au niveau des côtes. Chaque impact fut accompagné d’un craquement sinistre. – Deux et trois. Sous l’impact, le barbu s’était plié en deux. Elle le releva d’un joli coup de genou. Le nez se brisa. – Quatre Profitant qu’il se tenait courbé, elle lui saisit une oreille qu’elle tordit de toutes ses forces. Le hurlement que poussa la brute était cette fois constitué de souffrance pure. – Ca ne compte pas, le prévint-elle. Il n’y a pas d’os dans l’oreille, seulement du cartilage. Dans le nez non plus d’ailleurs. Je recommence à trois. Avec un sursaut de terreur, le colosse barbu se dégagea. Il lança un regard affolé autour de lui puis s’enfuit en courant. Ellana se pencha sur Aoro pour l’aider à se relever. – Il n’aurait pas dû partir, lui dit-elle. Je n’en étais pas encore à douze. – Que… Comment… Qu’est-ce… – Je te demande pardon ? – Co… Comment avez-vous réalisé cet exploit ? Elle lui adressa un sourire étincelant. – Finesse et délicatesse, Aoro. Finesse et délicatesse.
Page 335 - Spoiler:
– Nous reverrons-nous ? – Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions. Celle du poète et celle du savant. Laquelle désires-tu entendre ? – Je… je ne sais pas… Celle du poète ? – L’absence n’est qu’une illusion que le corps impose à l’esprit. – Euh… C’est tout ? – Oui. – Et si j’avais opté pour la réponse du savant ? – Elle est plus courte, admit Ellana, mais pas forcément plus vraie. – Peu importe rétorque Aoro. Offrez-la-moi. Nous reverrons-nous ? – Peut-être.
Pages 336-337 - Spoiler:
– Pourquoi les hommes veulent-ils que je les suive ? […] Qu’est-ce qui les attire ? […] – Ta liberté. – Ma liberté ? – Tu es libre, Ellana, et cela créé comme une lumière autour de toi. Les hommes ne s’y trompent pas et cherchent à te capturer pour s’approprier cette lumière. Parce qu’ils croient, à tort, qu’elle les éclairera, parce qu’ils sont incapables de la trouver en eux et ne supportent pas l’idée de vivre dans l’ombre, parce que le réflexe de celui qui est coulé au sol a toujours été de tuer celui qui sait voler. – Personne ne cherche à me tuer. Du moins pas ces hommes-là. – Leur désir que tu les suives revient au même. Éblouis par tes ailes et puisqu’ils sont inaptes au vol, ils rêvent que tu les sacrifies pour eux. – N’est-ce pas l’amour qui exige cela ? Jilano secoua la tête. – Absolument pas, Ellana. L’amour consiste à ouvrir des portes et des fenêtres, pas à bâtir des prisons. – Et vous ? Non. Excusez-moi. Ma question est stupide. – Faux. Elle n’est pas stupide et tu le sais. Le rôle d’un maître est de permettre à la lumière de naître, de déployer les ailes de son élève et de veiller à ce qu’il s’envole. Ton temps approche et je suis immensément fier de toi. Mais je ne t’ai jamais menti, Ellana, et je ne commencerai pas aujourd’hui. Ta lumière est éclatante, même aux yeux d’un maître marchombre. Lorsque tu partiras, le monde me paraîtra bien sombre. Comme pour modérer le poids de ses paroles, Jilano lui adressa une grimace avant d’achever : – Bien sombre mais aussi bien tranquille et j’avoue avoir hâte que tu me fiches un peu la paix !
Pages 343-344 - Spoiler:
Comme si le mot avait été une formule magique, les écluses du ciel s’ouvrirent et une pluie diluvienne s’abattit sur eux, noyant le paysage sous un rideau liquide. En quelques secondes, ils furent trempés jusqu’aux os. Renonçant à se protéger, Ellana poussa un soupir sonore qui se perdit dans le vacarme de l’averse. – Un ami amant qui trahit, bougonna-t-elle, un ami tout court qui disparait, un ami maître qui devient muet… Restons positifs, il pourrait pleuvoir !
Pages 351-352 - Spoiler:
Les premiers mètres ne lui posèrent aucun problème. Les pointes fixées à ses semelles jouaient parfaitement leur rôle et ses griffes pénétraient sans difficulté dans la glace la plus dure. A mi-hauteur, le froid entra dans la partie. Il soufflait en rafales violentes et, à plusieurs reprises, elle faillit dévisser et ne se rattrapa que d’extrême justesse. Le froid était terrible et, quand elle atteignit le sommet de la tour, elle ne sentait plus ses doigts. – Je propose que nous ne nous attardions pas, lança-t-elle en claquant des dents. – Rien ne presse, au contraire, lui rétorqua Jilano, parfaitement à l’aise. – Sauf qu’il fait froid ! insista-t-elle. – C’est vrai, mais ce n’est pas tout. La réalité a souvent deux visages, comme les questions ont deux réponses. A ta place, le savant gèlerait sur pied mais le poète, lui, s’extasierait devant tant de beauté. Regarde autour de toi, Ellana, tu n’auras peut-être plus jamais l’occasion de contempler ce spectacle. Comme souvent, les mots de son maître entraînèrent Ellana avec la force d’un tourbillon. Elle oublia le froid pour ouvrir ses yeux et son cœur. Al-Jeit était enchâssée dans une éblouissante gangue de glace. Pas une tour, pas un dôme, pas une flèche qui ne soit revêtue de cristaux. La lumière de la lune et des étoiles explosait à leur contact tandis que celle de la ville s’y diffractait en un millier de teintes irréelles. Ellana se hissa sur la pointe des pieds et écarta les bras en grand. L’air aussi irradiait sa propre lumière. Une lumière pure et argentée qui donnait envie de la boire. Elle baissa les yeux vers les zones d’ombre nichées dans les ruelles, les cours, les renfoncements… Elle se figea. Par la magie de la glace et des étoiles, l’ombre elle-même était devenue lumineuse. Le regard demeurait impuissant à la percer mais elle brillait néanmoins, d’une lueur douce et secrète, comme incapable de se satisfaire de sa nature alors que l’univers entier vibrait au rythme des ondes lumineuses. La gorge nouée par l’émotion, Ellana s’accroupit. Chuintement. Ses griffes entamèrent la glace vive pour y tracer quelques lignes. La voie de l’ombre Et du silence Vers la lumière.
Pages 363-364 - Spoiler:
– Regarde-moi, misérable prétentieuse ! Alors que les apprentis ne sont pas autorisés à s’exprimer, tu as remis en question l’autorité de la guilde, tu as offensé le Conseil et tu m’as insulté moi, un maître marchombre. Regarde-moi ! Ellana se tourna lentement vers l’estrade. Ses yeux noirs se posèrent sur Riburn Alqin. Une flamme dure y brûlait. Et sous l’impact, le marchombre tressaillit. – Je n’ai pas remis en question l’autorité de la guilde, affirma-t-elle d’une voix ferme, puisque je ne l’ai jamais reconnue. Je dénie à quiconque la moindre autorité sur mes actes et mes pensées, à l’exception de mon maître Jilano Alhuïn à qui je me suis liée de mon plein gré et pour une période de trois ans. – Tu… commença Riburn. – Je n’ai pas offensé le Conseil, le coupa-t-elle. J’éprouvais beaucoup de respect pour l’ancien et je suis prête à témoigner du même respect au nouveau. S’il s’en montre digne. Quant à toi, Riburn, je n’ai pas souvenir que tu aies gagné un jour le titre de maître marchombre. Aurais-tu passé les épreuves de l’Ahn-Ju en cachette ? – Siéger au Conseil offre le titre, rétorqua Riburn. La réplique, pitoyable, fit naître des murmures dans l’assemblée mais, alors qu’Ellana s’attendait à ce qu’ils enflent jusqu’à devenir une vague qui emporterait Riburn, ils décrurent doucement puis s’éteignirent. Solitude de celle qui a raison face à la foule. Solitude et satisfaction. Ellana sourit. – Je te demande pardon, dit-elle à Souhira. Je ne voulais pas gâcher ta présentation, juste t’aider à y voir clair. Et, pour que maître Riburn puisse continuer à me taxer de prétention, avec mes excuses, je t’offre un conseil. Plus que les discours des hommes, écoute le souffle de la nuit et le murmure de ton cœur. Eux ne mentent pas. Ella salua brièvement Jorune, toujours impassible, et se retira, heureuse d’arpenter la voie. Sa voie.
Pages 440-442 - Spoiler:
Pourquoi certains hommes se montraient-ils tellement prévisibles ? – Salut ma belle, la héla l’un d’eux. Non. Le mot prévisible ne convenait pas. Trop faible. Elle traversa la rue à grands pas pour se planter devant eux. – Écoutez les gars, fit-elle d’une voix dure. On va gagner du temps d’accord ? Un air surpris se plaqua sur leurs visages veules, déjà elle poursuivait : – Je commence par vous donner les réponses à vos questions. En vrac, vous ferez le tri après. Oui, je vais bien, merci. Non je ne cherche pas l’aventure et surtout pas avec vous. Non, je ne vous trouve ni beaux, ni forts, ni intelligents et je n’ai aucune envie que vous m’enseignez ce qu’est un vrai homme. Une promenade au clair de lune avec vous ne me tente absolument pas et oui, je sais ce que je perds en refusant vos avances. Et ce que je gagne. Elle s’interrompit brusquement. – Fin de la première partie. Vous voyez, ça peut aller vite. La deuxième partie est facultative, c’est vous qui décidez. On se salue, chacun suit sa route et l’histoire s’achève là, ou vous insistez et je vous joue mon rôle en accéléré. Les quatre hommes échangèrent un regard stupéfait, puis le plus gros renifla bruyamment et s’approcha d’elle. – Je comprends rien à ce que tu racontes, cracha-t-il. Alors tu la fermes et tu nous suis. Tu le regretteras pas, on va te montrer ce que des hommes, des vrais, sont capables de… Le talon d’Ellana percuta son sternum, lui vidant les poumons et lui brisant quelques côtes au passage. Il se plia en deux mais n’eut pas le temps de reprendre sa respiration, le genou de la jeune marchombre lui emboutit la figure. Il s’effondra tandis que ses comparses se ruaient en avant. Le premier fut stoppé net par un atémi sauvage porté au plexus solaire. Il poussa un glapissement et s’écroula. Pareille à un feu follet, Ellana se baissa, faucha les chevilles de l’un de ses agresseurs, abattit le tranchant de sa main sur le genou de l’autre. Les deux tombèrent comme des masses. Avant qu’ils se soient relevés, la marchombre les attrapa par les cheveux et cogna leurs crânes l’un contre l’autre avec toute la violence dont elle était capable. Le bruit fut terrible. Aussi terrible que l’impact. Et que le silence qui s’ensuivit. – Fin de la deuxième partie, fit Ellana en s’éloignant. Vous étiez prévenus.
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| | | Ipiutiminelle Membre du Conseil - Modo
Nombre de messages : 3147 Age : 38 Localisation : Tol Eressëa, As-Coron, Imre... Groupe : Marchombre Livre préféré : Tolkien, Pierre, Pauline, Timothée, Léa Silhol, Patrick Rothfuss, Alain Damasio... Date d'inscription : 01/12/2008
| Sujet: Re: Passages préférés Mer 14 Sep 2011 - 8:33 | |
| Je sais, ça m'a d'ailleurs pris un sacré temps de recopier tout ça ! ^^" Je pense qu'à nous deux on a du mettre presque tout le livre Mais il faut dire aussi que presque toutes les pages sont remarquables, que le livre entier est magnifique... Ca fait plaisir de relire ces passages, même si ça ne fait pas longtemps que j'ai relu le livre, l'émotion est toujours intacte à chaque fois | |
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