Ipiutiminelle Membre du Conseil - Modo
Nombre de messages : 3147 Age : 38 Localisation : Tol Eressëa, As-Coron, Imre... Groupe : Marchombre Livre préféré : Tolkien, Pierre, Pauline, Timothée, Léa Silhol, Patrick Rothfuss, Alain Damasio... Date d'inscription : 01/12/2008
| Sujet: Passages préférés Mar 20 Sep 2011 - 21:44 | |
| Me revoilà avec mes gros pavés de passages et de citations En même temps vous conviendrez avec moi que je ne pouvais décemment pas laisser cette catégorie vide comme ça So... Let's go ! =) - Spoiler:
Le détail est le raccourci des marchombres, jeune apprentie. Celui qui l'entraîne vers des lieux insoupçonnés, lui offre un temps d'avance sur ses adversaires et, souvent, lui sauve la vie.
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Après la perception du détail, vient l'instant du choix. Si la réflexion s'appuie sur le doute, le choix en est exempt. Ses maîtres-mots sont pertinence et efficacité.
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Un combat est un seul geste. Qu'il dure une seconde ou une heure. Qu'il t'oppose à un ennemi ou à dix. Un seul geste, un seul souffle.
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- L'univers est un entrelacs de forces, le coupa-t-elle d'une voix pareille à un courant d'air chaud. La voie du marchombre sinue entre ces forces et le marchombre se rit d'elles. Invisibles, il les voit. Impalpables, il les sent. Immatérielles, il les touche. Le vent est une de ces forces. Fais-t'en un ami, Salim. Va lui parler.
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L'échec est une redoutable force de vie. Si tu la perçois mal, l'utilises mal, cette force peut te happer, t'emporter et te réduire en miettes. Arpenter la voie du marchombre t'apprend à utiliser l'échec comme n'importe laquelle des forces qui s'entremêlent autour de nous. Sers-t'en pour rebondir, t'améliorer, rester positif. Toujours.
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L'ouverture est le chemin qui te conduira à l'harmonie. C'est en s'ouvrant que le marchombre perçoit les forces qui constituent l'univers. C'est en s'ouvrant qu'il les laisse entre en lui. C'est en s'ouvrant qu'il peut espérer les comprendre.
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Infinie et lumineuse, La voie du marchombre se déroule En soi.
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Salim lui caressa la joue du bout des doigts. - Non, évidemment ! C'est au contraire une des raisons pour lesquelles je t'aime autant. Tu es toi. Entièrement toi. Formidablement toi. Je l'ai vraiment compris ce matin et le comprendre à fini de me faire... évoluer. - Je ne te suis pas. - Je t'aime parce que tu es toi et je ne voudrais pas que tu changes. Surtout pas à cause de moi, ni pour moi. Tu est toi, c'est un merveilleux cadeau que tu offres à ceux qui t'aiment. Que tu m'offres. Je ne peux faire moins que t'offrir en retour un cadeau de valeur égale : cesser de me conformer à ce que j'imagine être tes désirs. Devenir moi. Le plus entièrement possible.
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Racines et frondaisons du monde Comme celles de l'ouverture et de l'harmonie En soi.
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Les deux marchombres s'arrêtèrent un instant pour goûter la magie colorée qui baignait les lieux. - Crois-tu qu'on puisse se lasser d'une pareille beauté ? demanda Salim. - Et toi ? répondit simplement Ellana. Salim prit le temps de réfléchir avant de parler. - Je ne sais pas, dit-il finalement. L'habitude est une route qui conduit droit à l'indifférence. D'un autre côté... - D'un autre côté ? - Notre faculté à nous émerveiller est liée à notre état d'esprit plus qu'au renouvellement de ce qui s'offre à nos sens. Il se tut. - Alors ? le relança Ellana. - Alors, je dirais qu'il est essentiel de ne jamais cesser de découvrir. En voyageant ou en restant immobile, en échangeant ou en se taisant, en réfléchissant ou en innovant. Quel est ton avis ? Elle le gratifia d'un sourire lumineux. - Que tu es sans nul doute le plus étonnant des apprentis qu'un maître marchombre ait eu l'occasion de former.
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- Jeune Salim, je vais te poser une série de questions. A ces questions tu devras répondre dans l'instant, sans réfléchir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours d'eau, la source est ton âme. C'est en remontant tes mots jusqu'à ton âme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prêt ? - Oui. - Crains-tu mon jugement ? - Non. - Pourquoi ? - Parce que je m'offre à lui. - Crains-tu le jugement des autres ? - Non. - Pourquoi ? - Parce que je dénie aux autres le droit de me juger. Les mots sont un cours d'eau. Salim les percevait qui coulaient en lui, vifs et forts. Vrais. Ellana avait raison, aucune révision n'était nécessaire, il suffisait de laisser couler les mots. D'ouvrir les écluses de son âme. - Pourquoi cours-tu ? - Pour sentir la fraîcheur du vent sur mon visage. - Mais encore ? - Pour le chemin qui défile devant moi et celui qui s'étire derrière. - A quoi sert un mur ? - A être franchi. - Qu'y a-t-il de l'autre côté du mur ? - Je suis de l'autre côté. Il n'y avait plus de crainte en Salim. Jusqu'au souvenir de sa crainte s'était dissipé, remplacé par une sérénité sans faille. Répondre aux questions de Sayanel se révélait plus que facile, plus que naturel. Vital. En s'offrant à la sagacité du maître marchombre, il refaisait connaissance avec lui-même, gravant dans le marbre des certitudes les fondements de son être. - Que dit l'étoile du matin au soleil qui se lève ? - La douceur de la nuit et l'importance du doute. - Que répond le soleil ? - La puissance des convictions et la beauté de la lumière. - Es-tu étoile ou soleil ? - Ni l'un ni l'autre. - Es-tu étoile ou soleil ? - Les deux. Les yeux de Sayanel s'étaient mis à briller. - Que deviennent les rêves qui se brisent ? - Les rêves ne se brisent pas. - Que deviennent les rêves qui se brisent ? - Le terreau des rêves à venir. - Combien possèdes-tu de maîtres-mots ? - Quatre. Pour l'instant. - Offre-les-moi. - Harmonie, ouverture, plénitude, respect. - L'homme et le loup se disputent un territoire. Qui a raison ? - Le loup. - De combien de maîtres-mots est pavée la voie ? - Je l'ignore. - Pourquoi le loup ? - Parce qu'il tutoie la lune et joue avec le vent. - Et toi ? - Homme et loup. Etoile et soleil. Lune et vent. - Six mots. Choisis-en un. - Marchombre. Sayanel se tut et le silence s'installa sur la grande salle. Silence approbation. Silence acclamation. Silence légitimation. Silence marchombre. Sayanel laisse Salim en découvrir les multiples facettes puis il s'inclina. Sois le bienvenu, jeune Salim. Puisses-tu longtemps arpenter la voie des marchombres.
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L'énergie est partout. Dans le déferlement de la vague comme dans la caresse d'une goutte d'eau, dans la puissance de la foudre comme dans la lueur d'une bougie, dans la clameur de la tempête comme dans le murmure de la brise. Le marchombre perçoit toutes ces énergies et sait les utiliser. Toutes.
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Les capacités physiques ne sont rien sans la finesse de l'âme.
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Nous devons juste nous efforcer de progresser. En réfléchissant à ce qui nous entoure, en acceptant de changer, tout en demeurant nous-mêmes. Toujours.
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Salim maugréait. Ellana était aux anges. Les grommellements furibonds de son élève la ravissaient. Ils avaient redoublé depuis qu'il pleuvait et constituaient un parfait écho à ce qu'elle avait éprouvé des années plus tôt lorsque Jilano l'entraînait dans de longs périples hivernaux sans accorder la moindre importance aux conditions climatiques. Ni à ses jérémiades. Elle ronchonnait comme Salim. Peut-être plus que lui. Pourtant, comme Salim, elle se régalait et, comme Salim, elle ne l'aurait admis pour rien au monde. Comme Salim. Maître et élève. « L'acte d'apprendre n'a de valeur que s'il s'ouvre sur l'acte d'enseigner, jeune apprentie. » Elle leva la tête pour offrir son visage à la pluie. Le temps passant, elle percevait avec davantage de force la présence de Jilano autour d'elle. Aujourd'hui plus que jamais. Dans les gouttes qui s'écrasaient sur ses joues, les feuilles détrempées qui jonchaient le sol, les nuées qui s'enroulaient dans le ciel, la brume qui s'élevait au-dessus des forêts... En elle aussi. Dans la fluidité de ses gestes, l'acuité de son regard et le rythme paisible de son coeur. Et plus profond encore. Dans la vie nouvelle qui palpitait au creux de son ventre. Une rafale de vent frais s'engouffra sous son capuchon, le rejetant en arrière. Devenue brise chaude, elle se glissa au creux de son oreille : « Même la mort ne nous séparera pas. Je continuerai à marcher sur la voie à tes côtés. Je ne t'oublierai jamais. » - Moi non plus, murmura-t-elle, je ne vous oublierai jamais.
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La température avait fraîchi et, lorsque Ellana frissonna, Edwin la prit dans ses bras. Il effleura sa nuque d'un baiser, passa une main douce sur son ventre... - Depuis combien de temps ? Lui murmura-t-il à l'oreille. Elle sourit à la nuit. - Comment le sais-tu ? - La lumière dans tes yeux quand je t'ai vue ce soir. Juste avant que la beauté de ton corps ne le clame à l'univers entier. Elle se pelotonna contre lui. - Tu es devenu poète pendant mon absence ? - C'est ta présence qui me transforme. Ton absence, elle, me ronge. Alors ? - Il arrivera au printemps. - Il ? - Je le sens ainsi. Il la serra un peu plus contre lui et, tandis qu'elle fermait les yeux, savourant le goût de la plénitude, il s'abandonna au bonheur qui déferlait. Doucement, il se mit à pleurer.
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« Le forgeron utilise le vent pour attiser pour son feu, le marin pour gonfler ses voiles, le fermier pour ensemencer ses champs, mais seul le marchombre l'écoute. Le marchombre écoute le vent et le vent parle au marchombre. » Ellana laissa ses questions s'envoler. [...] Les questions d'Ellana se mêlèrent à la brise, jouèrent un instant autour d'elle avec les rayons du soleil, puis se dissipèrent sans qu'elle soit parvenue à déchiffrer les réponses que le vent lui murmurait à l'oreille. Elle ouvrit les yeux sans ressentir la moindre déception. Juste heureuse d'avoir essayé. « Un jour, alors que tu tiendras accroupie au sommet d'une tour, tu percevras la voix du vent et cette voix soufflera en toi un savoir nouveau. Un jour. Pas maintenant. Même si tu es Ellana Caldin, l'héritière d'Ellundril Chariakin en personne. » Dans son esprit la voix de Sayanel avant remplacé celle de Jilano, pourtant ce fut à ce dernier qu'elle s'adressa en traçant du bout du doigt quelques mots dans la neige : Une direction, tracée par un maître pour son élève Un souffle liant l'élève à son maître Le Vent et la Voie.
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Elle fut réveillée par un mouvement. Aussi imperceptible que la respiration d'une fée. Aussi évident qu'un sursaut de l'univers. Au creux de son ventre. Sans ouvrir les yeux, elle passa la main sous sa tunique pour caresser le doux galbe de son avenir. Bonjour, murmura-t-elle. ~ Ellana demeura trois jours au bord de l'océan. Trois jours durant lesquels elle parla beaucoup. En silence. A Destan, en route pour la vie. A Isaya qui n'était plus. Elle n'avait jamais douté de l'amour de sa mère, même lorsque, jeune orpheline, elle cherchait en vain un sommeil qui la fuyait. Alors que son monde s'organisait autour de l'enfant à naître, elle prit conscience de ce qu'elle avait incarné pour Isaya. Et de ce qu'Isaya incarnait toujours pour elle. Près de l'océan, elle lui présenta son fils.
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Il flotte dans l'obscurité et le silence. Absolus. Non. Si l'obscurité est absolue, le silence ne l'est pas. Ne l'est plus. Des voix s'élèvent, chuchotements, à peine perceptibles tissant autour de lui une étrange mélodie dont il ne parvient pas à capter le sens. Dont il ne cherche pas à capter le sens. - Peau d'ébène. - Loup noir. - Regard sombre, danseur d'ombre, sculpteur de ténèbres. Bras largement écartés, il dérive dans l'obscurité. Absolue. Non. L'obscurité n'est pas absolue. - Peau d'ébène. - Loup noir. - Regard sombre, danseur d'ombre, sculpteur de ténèbres. - Ame de nuit, âme de lumière. Une lueur palpite. Claire et vive. A une éternité de lui. Toute proche. - Ame de nuit, âme de lumière. Il tend son âme vers la lueur. Ce n'est pas une lueur mais un soleil qui résiste sans broncher à l'univers de noirceur qui l'entoure. - Ame de nuit, âme de lumière. Après son âme, il tend les mains. Les referme sur le soleil. Avec un cri, la nuit se fend.
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La rapidité ne sert qu'à ouvrir la porte vers le temps, l'agilité à s'y engager, la souplesse à y rester. Le temps est tout. Se trouver au bon endroit au bon moment, frapper ni trop tôt ni trop tard. Vivre son temps et voler celui de son adversaire, en totale harmonie avec la pulsation de l'univers.
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Nos sens sont des fenêtres qui s'ouvrent sur le monde. Avancer sur la voie revient à agrandir ces fenêtres, jusqu'à ce qu'elles prennent la place des murs qui nous enferment. Cinq sens, cinq fenêtres que le marchombre utilise pour percevoir ce qui l'entoure. Tout ce qui l'entoure.
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Edwin se tenait là, appuyé à la balustrade, les yeux perdus dans le lointain. Il dégageait un tel mélange de force et de détresse qu'Ewilan sentit sa gorge se nouer. Elle passa un bras hésitant autour de sa taille. - Edwin, je... - Je vous ai entendus, la coupa-t-il dans un murmure. Vous êtes de vrais amis et je sais qu'ensemble nous délivrerons Destan. Il se dégagea avec douceur de son bras. - Laisse-moi maintenant, souffla-t-il. Il n'avait pas tourné la tête mais elle n'avait pas besoin qu'il la regarde pour voir les larmes qui coulaient sur son visage et sentir la plaie béante dans son cœur. Elle aurait voulu l'aider, lui insuffler vie et courage, le soutenir, l'épauler... Elle recula à pas lents et quitta la terrasse. Edwin n'avait pas bougé. On ne bouge pas quand on est mort, et une part de lui était morte.
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Au cœur de la Forêt Maison des Petits s'élève un long cri de détresse. Deux Petits découvrent la réalité de la mort. Impuissance. Douleur. Désespoir. - Ipiu !
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Le sort de la mort patiente qui attend patiemment. Un sort puissant et ardu. Nul autre que le grand Boulouakoulouzek n'est habilité à le jeter et il a menacé du pire des châtiments quiconque l'utiliserait sans son autorisation. Ouk et Pil s'en moquent. S'il ne la chasse pas, ce sort peut faire hésiter la mort. Un moment. ~ Le sort de la mort patiente qui attend patiemment. Les deux Petits le lancent ensemble. De toutes leurs forces. De tout leur cœur. De toute leur âme. ~ Quelque part dans l'univers, la page d'un livre, presque tournée, s'immobilise à mi-course.
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Alors qu'elle fermait les yeux, une phrase surgit de sa jeunesse et bascula sur la réalité de son présent : « Est-ce raisonnable de s'attacher aux gens alors qu'à tout moment ils pouvaient vous être arrachés ? » La question, alimentée par les épreuves qui avaient jalonné sa route, avait hanté ses nuits de solitude, façonnant sa personnalité et sculptant son indépendance. Lorsqu'elle avait rencontré Edwin, Salim, Ewilan et les autres, elle avait cru tenir une réponse. Oui, cela en valait la peine ! La naissance de Destan avait transformé cette réponse en certitude. Lumineuse. Cela en valait la peine ! La respiration d'Ellana se fit sifflante. Edwin était mort. Salim était mort. Ewilan était morte. Et Destan... « Est-ce raisonnable de s'attacher aux gens alors qu'à tout moment ils pouvaient vous être arrachés ? » Dans un sursaut de farouche volonté, elle dénia à la question le droit de la torturer davantage. La mort lui avait certes arraché Edwin, elle était incapable de lui arracher le bonheur qu'elle avait partagé avec lui. Ce bonheur lui appartenait, l'avait construite, faisait désormais partie d'elle. Jamais elle ne le regretterait...
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Parvenir au faîte de l'arbre Talisman lui fit l'effet d'un plongeon dans l'infini. Elle avait atteint le ciel et si elle tendait le bras, elle caresserait les étoiles. La Forêt Maison ondulait, non devant ses yeux mais sous elle, les plus hautes aiguilles de la chaîne du Poll la considérait comme leur égale et, si elle sautait suffisamment loin, elle était sûre de plonger dans l'océan des Nimurdes qu'elle n'avait jusqu'alors vu qu'en rêve. Bercée par le balancement de la cime où elle s'était juchée, elle accorda à son coeur le temps nécessaire pour se calmer et à ses yeux celui d'assouvir leur soif de beauté, puis elle s'immergea dans la gestuelle marchombre. Elle en ressortit lavée. Prête à écouter. « Ce que chante le vent ne prend jamais la forme de mots, Ellana. Ni même d'idées. Sensations fugaces, perceptions éphémères de ce qui peut être mais n'est pas forcément, émotions et non certitudes. Le vent ne chante pas le savoir, il chante l'harmonie et ce qu'il t'apprend a la consistance des nuages. » Une brise espiègle caressa sa joue, s'éloigna, revint, chargée de tendresse, pour s'écarter à nouveau, boudeuse. Ellana ne bougeait pas, son âme battant de lentes et paisibles pulsations. Elle ne cherchait pas à comprendre, saisir, analyser. Elle écoutait. La brise revint, plus grave, frôla son oreille puis, soudain, l'envahit. « Souffle vert d'inquiétude imprégné par la sinistre réputation des troncs torturés chant des pistes oubliées fendant la sombre entité contes de la sylve malmenée par le nom immérité lisière poignante et refermée pour coeur qui paraît et pourtant n'est. » Ellana avait fermé les yeux. Elle les rouvrit au moment où la brise se retirait lui offrant une ultime salve de mots bruissants. « Ce qui est est, et ce qui n'est pas ici est ailleurs. Ce qui est est, et ce qui est et semble ne pas être est là où l'on ne croit pas que ce qui est est. Ce qui est est, et ce qui est et ne se trouve pas est là où ce qui est n'a pas été cherché. » Ellana frissonna. Tant de choses se bousculaient dans le simple souffle d'une brise fugitive... Etait-il possible qu'elle ait été à ce point aveugle qu'elle n'ait jamais perçu les limites de sa perception du monde ? Limites si étouffantes, perception si parcellaire qu'une simple brise lui ouvrait l'univers... Elle débuta sa descente. Lentement pour marquer son respect pour l'arbre Talisman, le vent, la nuit et toutes ces forces qui la dépassaient. Lentement pour savourer l'espoir sauvage qui palpitait en elle. Elle savait où se trouvait la cité des mercenaires du Chaos. Elle savait où se trouvait son fils.
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Assis sur un banc couvert de mousse, Ouk et Pil sirotaient une liqueur de framboise sans paraître pour une fois se disputer. - Ipiu ! s'exclamèrent-ils ensemble. - Bonsoir Ouk, bonsoir Pil. Vous... vous ne dormez pas ? - Ben... non, répondit Pilipip. On... - T'attendait, acheva Oukilip. - Vous m'attendiez ? Au milieu de la nuit ? - Oui, pour te dire aurevoir. - On ne pouvait quand même pas te laisser partir sans te dire au revoir, non ? - Même si tu ne pars pas vraiment. Ellana s'assit devant eux. - Je ne suis pas certaine de bien vous comprendre, fit-elle. - Tu n'es pas vraiment revenue, expliqua Pil, tu ne peux donc pas vraiment repartir. - D'un autre côté, ajouta Ouk, même si tu n'es pas vraiment revenue quand tu ne repartiras pas vraiment, tu ne seras plus du tout là et nous, on sera complètement sans toi. - Je... je... - Ca c'est ce qu'on se dit quand on est tristes, précisa Pilipip. Le reste du temps, on se dit que repartir est le seul moyen que tu as de revenir un jour pour de bon.
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Ilfasidrel était un incroyable joyau bleuté, gros comme le poing. La gorge nouée par l'émotion, Ellana caressa des yeux ses facettes ciselées qui transformaient la modeste lueur de la lampe posée sur la table en une poignante symphonie lumineuse puis elle secoua la tête. - Je ne peux pas accepter. Un air surpris se peignit sur le visage des deux Petits. - Tu ne peux pas accepter ce dont tu as besoin et que tu venue nous demander ? S'étonna Pilipip. Tu étais plus logique quand tu étais petite. - Comment vivrez-vous sans Ilfasidrel ? Je veux dire comment jetterez-vous vos sorts pour vous protéger des Raïs ? - En ce moment, les Raïs sont occupés à attaquer les Humains, répondit Ouk. Ils ne s'occupent pas de nous. - Puisque tu parles de sort, intervint Pil, ça me fait penser qu'on en a jeté un sur Ilfasidrel. - C'est rigolo, non ? remarqua Ouk. Jeter un sort sur le joyau qui sert à jeter des sorts ! - C'est le sort qui permet de trouver ce qui n'a pas envie d'être trouvé mais qui doit être trouvé quand même. Un sort fastoche qui t'aidera. Enfin, on espère. - De toute façon, il ne s'agit que d'un emprunt. Dès que tu auras retrouvé ton fils, tu nous rendras Ilfasidrel. - Vous allez avoir de gros problèmes, s'inquiéta Ellana. - Ca c'est sûr, admit Ouk. Le grand Boulou et les vieux chnoques du conseil vont être en pétard. - D'un autre côté, on s'en fiche, précisa Pil. On a presque hâte d'être à demain pour voir la tête qu'ils feront en découvrant les gardes endormis et l'écrin vide. Le grand Boulou va peut-être s'arracher la barbe ! - Et manger son chapeau ! Les deux Petits éclatèrent de rire. Un rire tonitruant et joyeux qui les fit presque basculer de leur banc. - Tu devrais partir, conseilla Ouk lorsqu'ils eurent fini de se taper sur le ventre. - Maintenant ? - Ben oui. Tu nous embrasses, tu promets de bientôt revenir, on te conduit jusqu'à l'arbre passeur le plus proche, tu vas délivrer ton fils, tu reviens et on fait la fête. Simple, non ? Ellana ferma les yeux une seconde pour juguler son émotion puis hocha doucement la tête. - Tu as raison, murmura-t-elle. C'est... simple.
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- Tu crois qu'elle reviendra cette fois ? - Tu veux dire reviendra pour de bon ? - Oui, qu'elle reviendra pour de bon. - Euh... ça je ne sais pas, en revanche je sais autre chose. Quelque chose que toi aussi tu sais. - Et c'est quoi que tu sais et que je sais aussi ? - Elle ne nous a jamais quittés.
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Ellana s'apprêtait à confier son sort à la chance lorsqu'un charme bleu attira son attention. Planté à l'orée d'un bois, il était tourné vers une prairie éclaboussée de fleurs qui, par la magie de la lune, avaient troqué leurs couleurs contre une robe argentée. Une prairie semblable à des centaines d'autres, paisible, un ruisseau jouant à se perdre dans son herbe drue que caressait la brise nocturne... Anodine pour tous. Unique pour Ellana. Elle fit un pas en avant et sortit du charme bleu. Juste devant un tertre doux et arrondi, couvert d'une herbe plus verte que partout ailleurs. Tout ce que le temps avait conservé du bûcher d'Hurj Ingan. ~ Ombreuse était proche, l'envie de s'y enfoncer à la recherche de la cité des mercenaires brûlait ses veines, pourtant Ellana se tint un long moment immobile devant le tertre. Il n'y avait plus aucune trace de la plaque d'écorce sur laquelle, en épitaphe, elle avait gravé pour Hurj une poésie marchombre, mais les mots vivaient toujours en elle. La douleur infinie de celui qui reste, Comme un pâle reflet de l'infini voyage Qui attend celui qui part. Tant d'êtres chers étaient partis. Lui avaient été arrachés. Elle tenta d'imaginer un lieu féérique où Hurj, Jilano, Edwin, devisaient tranquillement en l'attendant. Près d'eux, Salim, Ewilan, Nahis, Entora, Maniel, Chiam, Erylis, Artis et, un peu plus loin, Isaya et Homaël, main dans la main... La vision explosa avant d'avoir quitté les limbes des chimères. Il n'y avait rien. Que la douleur infinie de celui qui reste. Elle se détourna et s'éloigna à pas lents.
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Lorsque vient le moment des décisions, ce qui compte n'est pas ce qui aurait pu être ni ce qui sera peut-être mais ce qui est. Si les choix du marchombre découlent du passé et s'ouvrent dans l'avenir, ils sont avant tout en accord avec l'instant présent.
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Lorsque l'ombre t'est refusée, choisis la lumière puisque être visible est souvent le meilleur moyen de ne pas être vu.
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Le regard d'un adversaire est pareil à un piège. L'éviter est plus facile que s'en extirper quand il s'est refermé sur toi. Un marchombre ne tombe pas dans un piège. Ni ne se laisse piéger par un regard. [...] Percevoir le temps n'est que le premier pas. Un pas que le marchombre effectue avant de passer au suivant : utiliser le temps.
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Une décision est une porte et un marchombre choisit toujours les portes qu'il franchit. Même dans l'urgence. Même quand sa vie est en jeu.
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Si un marchombre est mouvement, jeune apprentie, il peut aussi être absence de mouvement. Ombre et lumière, action et inaction, jaillissement et immobilité.
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Je suis Rhous Ingan, lui répondit le colosse, et je commande les Thüls. Sa voix était basse, dépourvue, comme son attitude, de la moindre crainte et, plus important, de la moindre provocation. Siam se demandait comment amorcer la discussion lorsque, dans un geste plein de force et d'assurance, il lui tendit son poing énorme. Le poing tendu. Le pacte d'amitié qui engageait l'honneur des Thüls avec l'inviolabilité des serments sur la vie. Siam hésita une fraction de seconde puis, avec la conscience d'accomplir un geste qui n'avait jamais été accompli, elle appliqua son poing sur celui du Thül. Dans le même temps, elle leva son autre main, présentant sa paume à Rhous Ingan. ~ Lorsque la gamine appliqua son poing minuscule sur le sien, Rhous Ingan sentit une force inconnue déferler en lui. La force qui émane des chemins trop longtemps ignorés quand on se décide enfin à les explorer pour découvrir qu'ils sont ceux que de tout temps on a souhaité suivre. Il ne fut donc pas étonné de voir la Frontalière lever la main vers lui et lui présenter sa paume. Juste satisfait. La main ouverte. Le serment inviolable qui engageait l'honneur des Frontaliers et par là même leur vie. Sans marquer la moindre hésitation, il plaqua sa large main sur celle de Siam. - Honneur et courage, articula-t-elle avec force. - Honneur et courage, répéta-t-il avec sa bouche, son coeur et son âme. ~ Près d'une rivière paisible, à l'est des plateaux d'Astariul, un Thül et une Frontalière se tiennent face à face. Poing sur poing. Paume contre paume. Deux guerriers promis à la légende que tout sépare et qu'unit pourtant l'essentiel. L'honneur et le courage.
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- Compagnons de combat, frères des Marches du Nord, amis thüls, lança-t-il en regardant tour à tour les hommes de la Légion noire, les Frontaliers et les Thüls, je connais la plupart d'entre vous et la plupart d'entre vous me connaissent. Pour les autres, je suis Edwin Til' Illan et si votre nombre interdit que j'entende vos noms, sachez qu'à chacun de vous j'offre ce soir ma reconnaissance. Une reconnaissance à la hauteur de l'honneur que vous me faites en me rejoignant. Une reconnaissance à la hauteur de la dette que je contracte ainsi envers vous. Une reconnaissance infinie. Il balaya du regard l'assemblée silencieuse, et poursuivit : - J'ai la fierté de vous avoir, à de multiples reprises, menés sur les champs de bataille, pour des combats qui nous ont vus offrir sans ciller nos forces et notre sang afin de préserver l'équilibre de l'Empire. Sur ces champs de bataille, nous avons affronté des ennemis plus forts que nous, plus nombreux que nous, plus sauvages que nous, mais toujours nous l'avons emporté. Et savez-vous pourquoi ? Frontaliers, Thüls et légionnaires s'étaient levés. Les yeux brillants de ferveur, ils buvaient les paroles de celui qui, pour tout guerrier alavirien, était une légende. - Parce que la vie d'un compagnon de combat a toujours été plus importante que la nôtre, parce que si nous sommes cent à affronter mille ennemis, nos cent cœurs battent sur le même rythme, avec la même passion, portés par le même sens de l'honneur. Nous sommes cent face à mille mais, en réalité, nous ne formons qu'un et ce un-là est invincible ! Edwin leva le poing, stoppant l'ovation avant qu'elle n'éclate. Puis il poursuivit d'une voix si forte qu'Ewilan cessa de l'amplifier : - Nous avons tant de fois défié la mort, tant des nôtres sont tombés que c'est un miracle que nous soyons encore vivants. Pourtant, et vous le savez, compagnons, les miracles ne durent pas. Demain, nous serons nombreux à mourir. Il tendit le doigt vers la foule suspendue à ses lèvres. - Toi, peut-être, et toi. Et toi. Et toi là-bas. Mais cela n'a aucune importance car demain, vous vous battrez pour l'honneur et l'amitié, vous vous battrez parce que vous l'avez choisi. Demain, nous serons nombreux à mourir mais demain, une fois encore, nous seront invincibles. Il se tut et, pendant un long moment, le silence s'étira sur l'assemblée. Puis un Frontalier, au dernier rang, leva les bras à la hauteur de son visage et, avec force, claqua ses mains l'une contre l'autre. Il recommença sur un rythme lent et, un à un, ses compagnons se joignirent à lui. La clameur sauvage de cet hommage se para soudain d'un vibrant écho métallique. Les hommes de la Légion noire avaient tiré leur sabre et, du pommeau, martelaient leur bouclier de vargelite. Les Thüls entrèrent alors dans la partie, frappant du poing leurs poitrines massives, et la nuit vola en éclats sous la puissance de ce vibrant témoignage de loyauté. Mille hommes. Un battement unique. Comme un coeur démesuré. Tant qu'il résonna, et il résonna longtemps, Edwin se tint droit, immobile. Il avait beau être mort, il était bouleversé.
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Salim frissonna. Eejil l'impressionnait. Plus encore que Doudou, le troll monstrueux qui l'accompagnait. Quel âge avait-elle ? Dix ans soufflaient son corps et ses joues rondes, cent ans affirmait sa voix grave et pleine de sagesse, mille assuraient ses yeux bleus, aussi profonds qu'un rêve d'éternité.
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L'esprit d'un marchombre ne fait qu'un avec son corps. Il est donc faux d'affirmer que le marchombre possède de bons réflexes, voire d'excellents réflexes. Le marchombre est réflexe.
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Le Chaos était tenu en échec par l'Harmonie. L'Harmonie. Salim ne combattait plus. Porteur de lumière, il était trop précieux pour risquer sa vie. Immobile dans le cercle marchombre, les yeux écarquillés par la stupéfaction et l'incrédulité, il la découvrait. L'Harmonie. Ce n'était pas cent ou deux cents marchombres agiles, souples, tourbillonnants qui se battaient mais un seul être, plus agile, plus souple, plus tourbillonnant que la somme des cent ou deux cents parties qui le composaient. Un être en parfait accord avec l'univers. L'Harmonie. Le Chaos grogna, se déchaîna, libérant jusqu'à l'ultime parcelle de son essence incontrôlable. Violence, haine, peurs, fanatisme... L'Harmonie répondit en se mettant à danser. Ouverture, temps, respect... Le Chaos rugit. L'Harmonie virevolta. Le Chaos enfla. L'Harmonie ondoya. Salim leva les mains au-dessus de sa tête. La lumière qui jaillissait de ses paumes inondait la grotte, nourrissait les corps, faisait vibrer les coeurs, pulsait avec les âmes. L'Harmonie. Le Chaos tressaillit. Nia. Cogna. Déroba. Mentit. Tortura. Viola. L'Harmonie s'offrit. Le dernier envoleur tomba. Aussi soudainement qu'elles s'étaient éteintes, les sphères lumineuses se remirent à fonctionner. Les marchombre survivants se tournèrent en silence vers Salim. Tous étaient blessés. Plus de la moitié des leurs étaient tombés et ne se relèveraient jamais. Et pourtant... La gorge nouée par l'émotion, Salim referma les mains. La lumière du Rentaï s'éteignit dans la grotte. Continua à illuminer la voie. Et le regard de ceux qui l'arpentaient. Uniques et soudés.
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Ellana se ramassa pour bondir... « Ce serait une erreur, jeune apprentie ! » La voix n'avait pas retenti pourtant Ellana l'avait entendue. Avec son âme. Elle se figea. - Jilano ? « Qui d'autre ? Ne t'avais-je pas promis que la mort elle-même ne nous séparerait pas ? Ta situation n'est pas brillante, jeune apprentie. » Ellana se mit à trembler. - Je veux sauver mon fils, murmura-t-elle. Je veux sauver Destan. « Alors, éloigne-toi de son berceau. » Ellana secoua la tête. - Non. Je ne... « Eloigne-toi de son berceau, Ellana ! » Jilano était mort depuis des années, personne n'avait parlé, la voix était une chimère née de son angoisse, pourtant... Ellana s'éloigna du berceau.
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Un homme était apparu au sommet des escaliers. Il tenait à la main un sabre ruisselant de sang et une détermination effrayante irradiait de ses yeux gris acier. Il ne lui fallut qu'une fraction de seconde pour jauger la situation. Pour que son regard capte celui d'Ellana. Pour qu'il comprenne l'incroyable présent que lui offrait la vie. Pour qu'il en juge l'inestimable valeur et en mesure la terrible fragilité. Pour qu'il bondisse et atterrisse au milieu des mercenaires. Une fraction de seconde. Edwin entreprit de se frayer un passage jusqu'à Ellana.
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Sayanel vrilla ses yeux dans ceux de son ancien élève. - Lorsque les douze disparaîtront, récita-t-il, et que l'élève dépassera le maître, le chevaucheur de brume le libérera de ses chaînes. Six passeront et le collier du un sera brisé. Les douze reviendront alors, d'abord dix puis deux qui ouvriront le passage vers la Grande Dévoreuse. L'élève s'y risquera et son enfant tiendra dans ses mains le sort des fils du Chaos et l'avenir des hommes. Le maître marchombre caressa la joue de Destan. - Cet enfant est bien celui dont parle la prophétie. Jilano était le maître, Ellana l'élève et, en ravissant Destan à ses parents, les fils du Chaos ont placé leur sort entre ses mains. Il a joué son rôle, les fils du Chaos n'existent plus. Tu n'as pas choisi une voie, Nillem, tu as choisi une impasse. Un court instant, la voix de Sayanel avait vacillé. - Ce t'appartient, reprit-il, et s'il puise sa source dans ce que je n'ai pas réussi à t'offrir, il n'engagera pas cet enfant. Destan suivra sa propre voie et cette voie ne sera ni la tienne ni la mienne. Sans plus accorder d'attention à son ancien élève, le maître marchombre se pencha avec une infinie douceur pour déposer Destan dans son berceau. Nillem abattit son sabre. ~ Ellana avait vu arriver le coup. Prévisible. Imparable. Non ! voulut-elle hurler. Elle ne parvint qu'à murmurer. Un murmure rauque, désespéré, qui fut couvert par un chuintement métallique. Surgi d'on ne sait où, un croissant d'acier tourbillonnant traversa la pièce en décrivant une courbe parfaite. Le sabre de Nillem n'était encore qu'à mi-course. Agenouillé près du berceau, les yeux posés sur Destan, Sayanel tendit le bras. ~ La vie n'est pas une roue impitoyable mais une route. Une route certes parsemée d'embûches, mais une route qui peut conduire au bonheur. Pour peu qu'on ne se perde pas. Ellana, Edwin, Destan. Enlacés. Heureux. Ils ne s'étaient pas perdus. ~ Près d'eux, à des milliers de kilomètres d'eux, Sayanel ferma les yeux de Nillem. Avec la même douceur qu'il avait déployé pour déposer Destan dans son berceau. Une infinie douceur. Une douleur infinie. Je te demande pardon, murmura-t-il.
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La liberté et l'indépendance ne se développent pas dans le secret, poursuivit Arguro, mais à la lumière de nos choix.
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La veille, près du feu de camp, le chef thül avait rencontré Doudou et Eejil mais, s'il avait été impressionné par la carrure du troll et évalué en connaisseur les dégâts qu'il pouvait infliger à un ennemi, il n'avait prêté aucune attention à la drôle de petite fille qui l'accompagnait, pieds nus, vêtue d'une tunique blanche trop grande qui lui servait de robe. - Que veux-tu, microbe ? lui demanda-t-il en tâchant en vain d'adoucir sa grosse voix. Est-ce que tu... Ses mots se figèrent dans sa gorge. Les yeux d'Eejil étaient deux lacs d'un bleu lumineux. Deux lacs qui recelaient une sagesse aussi vieille que le monde. Plus vieille que le monde. Deux lacs sans fond dans lesquels, il le pressentait, on ne pouvait pas nager. Juste se noyer. La force de mille Thüls n'était rien face au bleu de ces yeux-là. Pour la première fois de sa vie, Rhous Ingan recula. Proche de la panique. Déjà Eejil s'était détournée.
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Eejil lui tendit son cahier et le coeur de la jeune Frontalière s'emballa. - C'est... c'est ce que tu... espères ? demanda-t-elle en butant sur ses mots. - Non. C'est ce qui va arriver. - Tu... tu en es sûre ? - Certaine. - Quand ? - Très très bientôt. Les jambes de Siam se mirent à trembler. Il y avait dans la voix d'Eejil une force qui interdisait le doute. - N'oublie pas, tu as promis de ne rien dire, lui rappela la petite fille. Les autres doivent avoir la surprise. Siam s'assit doucement à côté d'elle. - Ca va être une jolie surprise, murmura-t-elle. Pour la première fois de sa vie, une larme roula sur sa joue sans qu'elle en est honte. Sans qu'elle essaie de la dissimuler. - Une vraie jolie surprise.
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- Je te croyais morte. La voix d'Edwin avait été un murmure, le premier souffle hésitant d'un espoir qui renaissait. Ellana laissa son regard dériver vers le corps ensanglanté d'Essindra. Une flambée de haine embrasa son cœur et, durant un bref instant, elle souhaita que la mercenaire soit encore vivante pour pouvoir la tuer à nouveau. Puis Essindra disparut de son esprit et elle embrassa Edwin. Un baiser brûlant à l'improbable parfum de miracle. Un baiser douceur tout en promesse d'éternité. Un baiser aveu. Peur, ténèbres et solitude. Passées. Edwin la serra contre lui, enfouit le visage dans son cou, se perdit dans son parfum et les cheveux fous derrière la nuque. Sentir son corps, percevoir les battements de son cœur... Il revint doucement à la vie. - Je t'aime. Ils avaient chuchoté ensemble. Tressaillirent ensemble en entendant l'autre énoncer ce qui était l'origine, le centre et l'avenir du monde. - Je t'aime. Autour d'eux l'univers avait pâli devant cette évidence. - Je t'aime. - Ne meurs plus jamais. S'il te plait. Plus jamais. - Je ne peux pas mourir, je t'aime. Leur étreinte devint plus pressante, leurs lèvres se cherchèrent pour un nouveau baiser, plus intense, plus sensuel, plus... Destan, coincé entre son père et sa mère, émit un petit cri de protestation. Sans que leurs âmes ne se détachent, Ellana et Edwin s'écartèrent pour contempler leurs fils. Peut-on mourir de bonheur ? La question avait déjà été posée. Si les larmes qui embuaient les yeux d'Ellana et celles qui roulaient sur le visage d'Edwin avaient su parler, elles auraient sans doute répondu.
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Une silhouette venait d'apparaître au sommet des marches. Un guerrier vêtu de cuir, démarche éreintée et aura de lumière. Edwin. Un bébé dans les bras. Destan. Son fils. Il s'immobilisa, balaya du regard l'armée pétrifiée qui se tenait sur la place puis, lentement, il souleva son fils au-dessus de sa tête. Il ne se passa rien d'abord, comme si ce simple et poignant hommage aux hommes qui avaient affronté le Chaos pour sauver un enfant établissait une communication au-delà des mots. Puis... Puis un grondement sourd s'éleva de la place, jaillissant de centaines de poitrines. Un grondement sauvage qui prit de l'ampleur, devint rugissement assourdissant avant de cesser brusquement. Un guerrier thül sortit alors du rang. Il leva les bras à la hauteur de son visage et, avec force, claqua ses mains l'une contre l'autre. Comme un Frontalier. Un Frontalier s'avança à son tour. Il dégaina son sabre et, se calquant sur le rythme du Thül, en abattit le pommeau sur son fourreau. Comme un homme de la Légion noire. Un légionnaire s'approcha d'eux en boitant, se campa fièrement à leurs côtés et, de son poing fermé, frappa sa poitrine de vargelite. Comme un Thül. Des mille hommes qui avaient attaqué la cité du Chaos, il n'en restait que cinq cents. Assoiffés. Blessés. Epuisés. Tous, sans exception, se joignirent aux trois des leurs qui avaient ouvert la voie. Cinq cents guerriers, oubliant leur appartenance à un peuple, un clan ou une troupe d'élite, offrirent à Edwin la clameur de leur union scellée par le respect et le sang. Puis... Puis une deuxième silhouette sortit du palais. Hésita un court instant devant le soleil et l'armée massée devant elle, se reprit, se glissa près d'Edwin. Fine et assurée. - Ellana ! Le hurlement de Bjorn fit exploser le silence qu'avait généré l'apparition de la marchombre. Avec un cri, Salim s'élança, entraînant Ewilan avec lui, Aoro tomba à genoux, Siam se leva d'un bond, Rhous Ingan poussa un rugissement de joie, Mathieu fit tournoyer Kamil dans ses bras, Liven resta médusé, Eejil referma son cahier. Puis... Puis, avant que Salim atteigne les premières marches de l'escalier conduisant au palais, ils surgirent. De partout. Invisibles une seconde plus tôt. Présents une seconde plus tard. Vêtements de cuir, souplesse et silence. Marchombres. - Ellana ! Impossible de savoir qui, le premier, avait crié mais le cri fut repris. - Ellana ! D'abord par plus de cent marchombres. - Ellana ! Pis par cinq cents guerriers enthousiastes. - Ellana ! Salim avait lâché Ewilan. Il gravit l'escalier en courant, trébucha, retrouva son équilibre par miracle, reprit sa course... - Ellana ! ... se figea. Elle pleurait. Des larmes irrépressibles noyaient ses yeux, ruisselaient sur son visage, coulaient. Encore. Toujours. Elle pleurait. - Ellana ! Salim aurait voulu la prendre dans ses bras, la serrer contre son coeur, lui hurler sa joie... - Ils sont là pour toi, lui murmura-t-il. Il lui saisit doucement la main. - Nous sommes tous là pour toi.
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- Dis, Ipiu, tu es sûre que je parle l'humain ? - Oui, Pilipip. - Et moi ? - Toi aussi, Oukilip. Les deux Petits soulevèrent ensemble leur chapeau pour se gratter le crâne. - C'est pas possible, finit par déclarer Pil. - Pourquoi ? demanda Ellana qui peinait à garder son sérieux. - Parce que je suis un Petit et que je ne comprends pas l'humain. Donc si Ouk, par magie, parlait l'humain je ne comprendrais pas, or je le comprends ce qui prouve bien qu'il ne parle pas l'humain, et s'il ne parle pas l'humain, je ne parle pas l'humain non plus. - Pil ? - Oui, Ipiu ? - Ewilan, Liven et Kamil ont dessiné un... - Ils ont quoi ? - Ils ont jeté un sort qui vous permet de parler l'humain mais aussi de le comprendre. - D'accord. Pourquoi ne l'as-tu pas dit tout de suite ? C'est quoi ce truc -là ? Ca se mange ? - Oui, Pil, ça se mange et c'est bon. C'est un pâté de termites aux herbes. Aoro et Oûl l'ont cuisiné pour nous. - Aoro, c'est le gros moche qui n'arrête pas de boire ? - Non, Ouk, lui c'est Rhous Ingan et il serait préférable que tu ne dises pas trop fort que tu le trouves gros et moche. - Pourquoi ? Il comprend la langue des Petits ? - Tu ne parles pas le petit en ce moment, Ouk, tu parles l'humain. - Ah oui, c'est vrai. C'est qui Aoro ? - C'est celui qui vient de déposer le plat de champignons sur la table. - Ah, le maigrichon qui est amoureux de toi ! Ellana se racla la gorge. - Ca aussi, il serait préférable de ne pas le dire trop fort. De ne pas le dire du tout en fait. - C'est pourtant Aoro qui l'a dit en premier. - Quoi ? - Oui, avec ses yeux. Ellana retint un soupir. Elle commençait juste à penser qu'entraîner ses pères adoptifs jusqu'à l'auberge du Monde afin de leur présenter ses amis n'était peut-être pas une si bonne idée. [...] - Comment il s'appelle déjà le gros moche ? demanda Pilipip. - Rhous Ingan, soupira Ellana. - C'est lui le troll dont tu nous as parlé ? - Non, le troll s'appelle Doudou et ce n'est pas un Humain. - C'est un Petit ? - Non, un troll. - Ca existe les trolls ? - Non. Et c''est pour ça que Doudou n'est pas là. Pilipip souleva son chapeau pour se gratter le crâne. - Tu te moques de nous, pas vrai ? - Un peu, admit Ellana en souriant. La vérité c'est que Doudou et Eejil sont repartis chez eux. Ils n'ont pas l'habitude de se mêler aux hommes. Leur vie et la nôtre se déroulent côte à côte mais il existe peu de chemins permettant de passer de l'une à l'autre. - Parfois les chemins existent, déclara Ouk. Nous sommes simplement incapables de les discerner. Ellana lui jeta un regard surpris. Ouk et Pil faisaient parfois preuve d'une... - Alors qu'il suffit de se mettre à quatre pattes et de bien regarder pour les trouver, acheva Ouk. Ellana poussa un énième soupir.
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Le lac étincelait en contrebas, étendue étale d'un bleu profond que bordaient l'or et le sang de la forêt automnale. Loin à l'est, la dentelle blanche des montagnes couvertes de neige se découpait sur l'horizon. - Demain nous retrouverons la maison, murmura Ellana. - Est-ce ton désir ? - Oui. J'ai besoin de nous trois au même endroit. Seuls. Longtemps. Et toi ? Il la serra contre lui. Ferma les yeux pour mieux sentir sa présence. - Je t'aime. Juste ça. Je t'aime. Ellana tressaillit. Elle était si heureuse qu'elle avait mal. Alors, elle laissa une larme rouler sur sa joue, emporter la douleur et il ne resta plus que le bonheur. Infini.
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- Si un jour j'ai un enfant, ce ne sera pas parce qu'Ewilan a vu Destan mais parce que la venue de cet enfant aura pris pour nous la couleur de l'évidence. Pour nous deux, Ellana, et non uniquement pour elle. Et ce jour-là, faire de mon mieux ne suffira pas. Je ne m'en contenterai pas parce que mon enfant méritera davantage. Ellana réfléchit un instant, puis un nouveau sourire, plus large que le précédent, illumina son visage. - Je dois avouer que ce que tu dis est séduisant, jeune apprenti. Je dois même avouer que je suis fière de toi. Je te trouve toutefois bien téméraire de me contredire avec une telle effronterie. Ne me ferais-tu plus confiance ? Alors qu'elle peinait à garder son sérieux, Salim lui répondit avec une gravité inhabituelle. - Tu es née marchombre et c'est les yeux fermés que je te suis sur la voie. En revanche... - En revanche ? - Tu es mère depuis moins d'un an et je n'ai pas souvenir que tu aies passé l'Ahn-Ju de maternité. Je ne suis donc pas certain que tu sois habilitée à donner des conseils, encore moins à former un apprenti. Il éclata de rire et, après un instant de surprise, Ellana se joignit à lui.
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- Il est beau ce petit, tu ne trouves pas ? - Ce n'est pas un Petit, c'est un Humain. - Je le sais, monsieur, mais j'utilisais le mot petit dans le sens de bébé ! - Alors tu aurais dû dire bébé. - Je dis ce que je veux. - C'est vrai, mais tu dis mal. - Je dis mal quoi ? - Les choses. - Quelles choses, nom d'un champignon ? - Pil ! Ne dis pas de gros mots devant le petit ! - Ce n'est pas un Petit, c'est un Humain. Regarde, il est réveillé. Il est beau, tu ne trouves pas ?
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Ils grimpaient depuis une heure et le vide, sous leurs pieds, était devenu étourdissant. La paroi n'offrait que de rares endroits où se reposer et la glace transformait l'ascension, déjà périlleuse, en défi de chaque instant. Salim jeta un regard noir à Ellana. Il était épuisé et elle ne lui accordait toujours aucune attention. Elle s'élevait devant lui sans s'inquiéter qu'il risque sa vie à chaque mètre péniblement gagné sur la montagne, si distante qu'il sentit une vague de rage l'envahir. Il glissa, enraya sa chute en plantant ses crampons de métal dans la glace, serra les mâchoires quand les maillons de la chaîne mordirent ses poignets jusqu'au sang, attendit que ses jambes cessent de flageoler pour se décaler vers la droite, saisit une prise, tira sur ses bras... La rage revint. Plus forte. - Je suis marchombre ! hurla-t-il. Je me fiche de tes chaînes et de tes épreuves. Je me fiche de tomber. Je suis marchombre ! Tu entends, Ellana ? Je suis marchombre ! Comme si les mots avaient drainé sa colère et nettoyé son cœur, il s'apaisa soudain, tandis qu'une certitude se mettait à pulser en lui. Il était marchombre. Libre ou enchaîné. Parce que la liberté n'avait rien à voir avec un état physique. Parce que la voie vivait en lui. Parce que rien ni personne ne pourrait l'empêcher d'y progresser. Il leva les yeux vers Ellana. Elle avait fiché ses griffes dans une plaque de glace, coincé le bout de ses pieds dans une minuscule fissure. Elle le regardait. Si présente qu'il failli s'étouffer dans l'élan de gratitude qui propulsa son âme vers elle. Elle qui l'avait choisi, guidé, éclairé. Elle qui, en l'enchaînant, avait achevé de le transformer en homme libre. - Je suis marchombre, lui dit-il sans savoir s'il avait vraiment prononcé ces mots. Je sais, lui répondit-elle en silence. ~ Salim et Ellana grimpèrent encore deux heures. Deux heures de souffrance pour Salim, épuisé entravé par des chaînes de plus en plus lourdes et par les difficultés que la montagne se plaisait à placer devant lui. Deux heures de souffrance pour Ellana qui progressait à ses côtés, si proche de lui qu'elle ressentait ce qu'il ressentait. Deux heures de bonheur pour l'un et pour l'autre. De plénitude. Puis Salim saisit une ultime prise, tira sur ses bras et se retrouva couché dans la neige. Il avait atteint le sommet. Il s'assit péniblement, se leva, regarda autour de lui. Où qu'il tournât les yeux, il n'y avait que le ciel. Infini et lumineux. Il se tint immobile un instant avant de tressaillir lorsque Ellana défit ses chaînes. - Tu es libre, lui annonça-t-elle en les jetant au loin. - Merci, ça fait du... Il se tut. Repris dans un souffle : - Qu'est-ce que ça veut dire, tu es libre ? - Ton apprentissage est achevé. Ce qui te reste à apprendre, tu devra s l'apprendre seul. - Je... je... Il ferma les yeux. Les rouvrit. - Je... Tu... La gorge nouée par l'émotion, Ellana le regarda se débattre pour ne pas perdre pied. Elle avait mené ce même combat, au même endroit, et elle s'en rappelait l'âpreté. Elle se souvenait du vide qui s'était ouvert devant elle lorsque Jilano l'avait libéré de ses chaînes. Un vide terrible. Vertigineux. Effrayant. Indispensable. Il n'y a d'envol sans vide. Elle s'était effondrée en larmes dans les bras de Jilano. Salim éclata de rire. Un rire immense et tourbillonnant. Vie et exaltation. Bras levés au-dessus de la tête, il tournoya un instant avant de se laisser tomber à genoux dans la neige. Avant de presser son visage contre les jambes d'Ellana. De se mettre à pleurer. ~ - Que vais-je faire ? - Ce que tu voudras. - Où vais-je aller ? - Où tu voudras. - Je ne sais pas si je suis prêt... - Tu es prêt. Salim déglutit avec difficulté. - Quand nous séparerons-nous ? chuchota-t-il. - Il y a deux réponses à cette question. Comme à toutes les questions. Celle du savant et celle du poète. Laquelle souhaites-tu entendre en premier ? - Je... Celle du savant. - Nous nous séparons maintenant. Tu vas descendre d'un côté de la montagne, moi de l'autre, et si nos routes, je l'espère, se croiseront souvent, elles n'en formeront plus jamais une seule. Salim attendit d'être certain que sa voix ne se briserait pas pour reprendre : - Et la réponse du poète ? - Rien ne peut séparer un maître et son élève. Rien. Ni la vie ni la mort. Un souffle de vent, pareil à une caresse, s'enroula autour d'elle pour murmurer son accord à l'éternité.
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Ellana se redressa sur sa selle et, tandis que Murmure se mettait lentement au pas, elle ouvrit les bras en grand. Sur sa droite, la chaîne du Poll barrait l'horizon de ses pics acérés, aiguilles de glace et sommets abruptes couverts de neige. Sur sa gauche, une prairie moutonnait à perte de vue, son vert profond éclaboussé par les myriades de fleurs nées du printemps. Derrière elle, invisible, la Citadelle. Devant elle... L'inconnu. L'aventure. La solitude. Murmure s'était arrêté. Les bras toujours ouverts, Ellana leva la tête vers l'azur. - Où ? demanda-t-elle à voix haute. Le vent se glissa jusqu'à son oreille : - Il y a deux réponses à cette question...
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