Concours d'écriture

CHASSEUR DE RÊVES

Victor était chasseur de rêves.
C’était un métier qui demandait beaucoup d’agilité, pour bondir de toit en toit, beaucoup de dextérité, pour manier le filet à rêves, beaucoup de courage, pour sortir seul la nuit et beaucoup d’imagination, pour effectuer un tri entre beaux rêves et rêves anodins, tout en évitant les cauchemars dangereux et les hallucinations inutiles.
Agilité, dextérité, courage et imagination.
Victor était agile, dextre, courageux et avait toujours fait preuve d’imagination. C’est d’ailleurs cette imagination qui lui avait permis, lorsque ses parents étaient morts, de ne pas se retrouver enfermé à l’orphelinat mais d’être embauché par monsieur Paul.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Victor ignorait ce qu’il fabriquait avec les rêves qu’il lui achetait, pas très cher d’ailleurs, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. La seule chose qui comptait pour Victor, c’était de voir les songes se glisser à l’extérieur des maisons par les interstices entre les tuiles des toits, se déployer en fines volutes colorées, onduler un instant comme s’ils cherchaient leur route puis filer vers les étoiles.
Sauf s’il se montrait assez rapide.
S’il se montrait assez rapide et abattait son filet avec suffisamment de précision, le rêve finissait dans sa besace.
Une nuit de printemps, alors qu’il n’avait capturé qu’un petit rêve bleu et cherchait quelque chose de plus consistant à attraper, Victor aperçut une silhouette adossée à une cheminée.
Elle regardait le ciel et ne parut pas surprise lorsqu’il s’assit à ses côtés.
- Tu t'appelles comment ?

Le jeune garçon n'hésita pas. Il régnait en cette nuit une atmosphère de confiance.
- Victor. Et toi? … Je n'ai pas vraiment l'habitude de croiser des gens… à cette hauteur là.
La jeune fille ne détourna même pas la tête vers lui et resta dans sa contemplation des étoiles. Sa respiration était paisible, comme celle de quelqu'un qui se serait endormi.
- Tu… Toi aussi, tu es un chasseur de rêves ?
Cette fois-ci, elle porta son attention sur lui. Victor la dévisagea.
Elle avait le visage rond, de grands yeux sombres dans lesquels une lueur s'était allumée et la peau très blanche. Ses boucles folles se soulevèrent avec la légère brise qui murmurait à la ville endormie. Cette fille se fondait parfaitement avec le mystère de Londres.
- Sais-tu ce que tu es en train de faire ? Demanda-t-elle d'une voix douce.
Victor fut déstabilisé. Son ton était celui de quelqu'un qui s'apprêtait à donner une leçon.
- Ce que je fais ?
Victor se leva pour se mettre face à elle.
- Qu'as-tu là-dedans ? Quera-t-elle en désignant d'un mouvement de tête la bourse qui pendait à sa ceinture.
- Un… Un rêve. Bleu… commença-t-il, hésitant. Je ne suis pas sûr de te suivre.
La petite fille sourit.
- Alors écoute moi bien. La jeune fille à qui tu viens de voler ce rêve, a perdu quelqu'un. Un homme, un ami, un père, un guide. Comme beaucoup d'autres personnes, elle subit une douleur immense suite à cet injuste accident. Elle est perdue, dans le noir complet. Alors, je te repose la question. Que crois-tu faire en lui ôtant ses rêves ?
Elle reporta son attention sur la nuit, attendant une réponse. Qui ne vint pas. Elle se résigna donc à la lui donner.
- Tu lui retires tout espoir, toute chance pour elle de retrouver la lumière et, ainsi, sa voie. Sans rêve, mon cher Victor, l'homme n'est rien.
Elle le fixa encore quelques instants puis, elle prit une profonde inspiration, ferma les yeux et s'adossa contre la cheminée.
Victor, tout penaud, frotta son pied contre sa jambe. Il titilla le cordon de sa bourse, hésitant, puis finir par l'ouvrir. Tout au fond, virevoltaient des petites lumières. Bleues. De minuscules petits feu d'artifices. Victor se surprit à les comparer avec des lucioles luisantes. À des fées. Il souleva son nez en direction de la fillette qui n'avait pas rouvert les yeux. Victor fit quelques pas indécis vers la cheminée et se pencha dans son âtre. Il agrippa ses mains sur le rebord et se mit sur la pointe des pieds pour en voir le bout. Mais il faisait noir. Trop noir. Victor retomba sur ses pieds et décrocha avec mal la bourse qu'il affectionnait particulièrement. Il se redressa et, cette fois, sans hésiter, il en renversa le contenu. Il les regarda tomber, éclairant sur leur passage une pierre sale, que l'on devinait rouge.

Les poussières de rêve arpentèrent la chambre calme. Sans se quitter, ils se rapprochèrent d'une forme endormie. Ils se déposèrent sur des paupières agitées, s'y engouffrèrent. Seule une d'entre elles en ressortit. Elle prit de la hauteur et resta quelques instant au-dessus de ce visage triste. Même endormi. Puis elle sortit par la fenêtre, navigua entre les maisons, passant devant de nombreuses fenêtres entrebâillées, qui lui murmurèrent des histoires, tout en allant toujours plus haut. Elle disparut devant la Lune. Réapparut.
Au milieu des étoiles.
A sa place.
Elle se mit à rayonner. Briller. Reprenant sa place de guide.

Victor se redressa enfin.
- Je … Je lui ai rendu. Son rêve. Je lui ai rendu. Je ne pense pas que Mr Paul m'en voudra.
Le silence lui répondit. Le petit chasseur se retourna. Il était seul sur le toit. D'abord surprit, il sourit aux étoiles. L'une d'elle sembla lui faire un clin d'œil.

Victor avait beau être Chasseur de Rêves, c'était la première fois qu'il en voyait un.